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JOURNÉE III, SCÈNE I.


JOURNÉE TROISIÈME.


Scène I.

Une forêt.
Entre ISABELLE.
isabelle.

Ah ! puissé-je ne plus voir lu lumière du jour, qui ne servirait qu’à éclairer ma honte !… Ô vous, fugitives étoiles, ne permettez pas que l’aurore vienne si tôt vous remplacer dans la plaine azurée du ciel ; son sourire et ses larmes ne valent point votre paisible clarté ; et, s’il faut enfin qu’elle paraisse, qu’elle efface son sourire et ne laisse voir que ses larmes !… Et toi, soleil, roi des astres, prolonge ton séjour dans le sein profond des mers ; souffre, une fois du moins, que l’empire de la nuit dure quelques heures de plus ; et si tu écoutes ma prière, l’on dira de toi que tu diriges ton cours d’après ta seule volonté, et non d’après un ordre supérieur. Pourquoi voudrais-tu révéler au monde, avec ma triste aventure, le plus noir forfait, la plus atroce violence que le ciel ait permise pour châtier les humains !… Mais, hélas ! tu es insensible à ma plainte ; et pendant que je te prie de retarder ta course, je vois ta face majestueuse qui peu à peu s’élève au-dessus des monts ; comme si ce n’était pas assez de tous mes malheurs, et que toi aussi tu voulusses concourir à mon ignominie !… Que faire ? où aller ? Si je laisse mes pas errans me ramener à la maison de mon père, quel affront pour ce vieillard infortuné, qui n’avait d’autre joie, d’autre bonheur, que de se mirer dans le pur cristal de mon honneur, désormais souillé d’une tache ineffaçable !… Et si par respect, par pudeur, je m’abstiens de retourner à la maison, ne sera-ce pas autoriser les soupçons de ceux qui penseront que j’ai été complice de mon infamie ; et mon innocence ne me sauvera pas des propos de la méchanceté !… Combien j’ai eu tort de m’échapper en fuyant des mains de mon frère ! N’eût-il pas mieux valu que dans sa colère il m’eût donné la mort sans retard, en voyant mon triste sort ?… Je veux l’appeler, je veux qu’il revienne furieux et qu’il m’ôte la vie… Mais j’entends une voix, des cris…

crespo, du dehors.

Ah ! tuez-moi… J’accepterai la mort comme un bienfait. La vie est un supplice pour un infortuné.

isabelle.

Quelle est donc cette voix ? Elle ne prononce que des accens confus, et j’ai peine à la reconnaître.