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L’ALCADE DE ZALAMÉA.

nuño.

Ce n’est pas moins pitié, au contraire, d’en voir d’autres qui n’en ont jamais.

mendo.

De qui parles-tu ?

nuño.

Des gentilshommes de campagne. Ne vous êtes-vous jamais demandé pourquoi on ne leur envoie personne à loger ?

mendo.

Pourquoi ?

nuño.

Parce qu’on craint que l’on y meure de faim.

mendo.

Dieu fasse paix à l’âme de mon bon seigneur et père ! car enfin il m’a laissé une belle carte généalogique toute peinte d’or et d’azur, qui m’exempte moi et mon lignage de ces corvées.

nuño.

Il aurait mieux valu qu’il vous eût laissé un peu d’argent comptant.

mendo.

Toutefois, quand j’y pense, et s’il faut dire la vérité, je ne lui ai pas grande obligation de ce qu’il m’a engendré noble ; car je n’aurais jamais souffert qu’un autre qu’un gentilhomme m’eût engendré dans le ventre de ma mère.

nuño.

Il vous eût été difficile de le savoir.

mendo.

Point du tout ; rien de plus facile.

nuño.

Comment cela, seigneur ?

mendo.

Mais non ; tu n’entends rien à la philosophie, et par conséquent tu ne connais pas les principes.

nuño.

Il est vrai, mon seigneur, ni les principes, ni le reste, depuis que je mange chez vous[1]. Votre table est une table divine, sans commencement, ni milieu, ni fin.

mendo.

Je ne le parle point de cela. Sache que l’être qui naît est la substance de la nourriture qu’ont prise ses parens.

nuño.

Vos parens mangeaient donc ? Vous n’avez pas hérité d’eux cette habitude.

  1. Nuño joue sur le double sens du mot principios, qui signifie 1o principes, commencement, 2o un plat, une entrée.