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NOTICE SUR CALDERON.

menaçant. Je ne puis résister au désir de citer un passage d’une de ses pièces les plus curieuses, où ce sentiment me semble admirablement rendu.

Cette pièce, intitulée les Armes de la beauté, n’est autre chose que le sujet de Coriolan, sauf les modifications, assez graves, que Calderon a fait subir à l’histoire.

Coriolan, jeune galant qui vit à l’époque de la guerre contre les Sabins, a excité parmi le peuple une sédition, à cause que le Sénat a promulgué une loi qui interdit aux dames de porter du fard, des bijoux et d’élégans atours. (Riez si vous voulez ; mais, de grâce, écoutez !) Comme dans la sédition un sénateur a été tué, Coriolan est jugé par les trois ordres réunis, — l’ordre sénatorial, l’ordre équestre, l’ordre populaire, — et condamné à l’exil. On vient lui lire la sentence au moment où il reçoit au milieu du forum les honneurs du triomphe. En vertu de cette sentence, qui prononce aussi la dégradation du coupable, les trois juges suprêmes s’approchent du triomphateur, et l’un lui ôte sa couronne de lauriers, l’autre son épée, le troisième son poignard… Pendant tout ce temps Coriolan demeure immobile, dans un sombre silence. Mais ensuite, lorsque le rapporteur (el relator) lui annonce qu’il va être immédiatement conduit par une troupe armée hors du territoire romain, alors il éclate, et regardant d’un œil farouche les monumens qui l’entourent : « Ainsi donc, s’écrie-t-il, ainsi donc, ingrate patrie, tu me rejettes hors de ton sein, et tu me fais conduire au fond des déserts comme une bête féroce. Eh bien ! tremble !… car, comme une bête féroce, quelque jour je reparaîtrai tout-à-coup et je m’élancerai contre mon maître ! » Mais il faut lire cela dans Calderon. L’on comprend alors comment les Espagnols ont pu adorer le poète qui exprimait avec tant de puissance le trait distinctif de leur caractère.


Ce qui précède m’amène naturellement à parler de la manière dont Calderon a traité la vérité historique. Dans toutes celles de ses pièces dont le sujet est emprunté soit à la mythologie, soit à l’antiquité grecque ou romaine, notre poète dispose à son gré de la couleur locale, et se joue sans scrupule des faits, des mœurs, du temps. Toujours ses héros, Assuérus ou Alexandre, Scipion ou Coriolan, sont des galans espagnols