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JOURNÉE III, SCÈNE V.

le chirurgien.

Qu’est-ce que tout cela signifie ? — Une terreur profonde s’empare de mon cœur. Que le ciel me protège !

don gutierre, revenant.

Il est temps que tu entres ; mais avant, écoute. — Ce poignard te percera le sein si tu me refuses ce que je vais te demander. — Approche-toi de cette chambre. Qu’y vois-tu ?

le chirurgien.

Je vois je ne sais quoi qui ressemble à un mort, étendu sur un lit ; il y a de chaque côté une torche, et sur le devant un crucifix mais il me serait impossible de dire qui cela est, parce que le visage est couvert de voiles épais.

don gutierre.

Eh bien ! à ce vivant cadavre que tu vois, il faut que tu donnes la mort.

le chirurgien.

Que me commandez-vous ?

don gutierre.

Que tu la saignes. — que tu laisses saigner sa blessure, — et que tu demeures près d’elle et la surveilles jusqu’à ce que tout son sang soit sorti et qu’elle expire. Ne me réplique point si tu tiens à ma pitié.

le chirurgien.

Seigneur, je le sens, je ne pourrai jamais…

don gutierre.

Celui qui a conçu un tel projet, si rigoureux et si cruel, et qui a résolu de l’accomplir, te donnera la mort sans balancer. — Eh bien ?

le chirurgien.

Ah ! monseigneur !

don gutierre.

Que décides-tu ?

le chirurgien.

Je ne veux point mourir.

don gutierre.

Alors, — obéis.

le chirurgien.

Je suis prêt.

don gutierre.

Tu fais bien ; rien ne m’eût arrêté. Entre devant moi. Je t’observe d’ici, Ludovico.

Le chirurgien sort.
don gutierre, seul.

Je n’avais que ce moyen de me venger sans qu’on le sache. On aurait aperçu des blessures ; le poison aurait laissé des traces… Maintenant, quand je dirai qu’elle avait besoin d’être saignée et