Page:Cadol - Monsieur Ugène, 1888.djvu/7

Cette page a été validée par deux contributeurs.
 Les corrections sont expliquées en page de discussion


Il aperçut, triste et pensive,
Une ombre pâle et fugitive,
En proie à quelque chagrin noir.
Sans plus tarder, il s’approcha
Et, sur ses maux, la questionna :


— « Qu’as-tu donc, lui dit-il, ma chère ?
« Tu me fais peine horriblement.
« Ne puis-je rien à ton tourment ? »
— « Ah ! répondit l’ombre, mon père,
« C’est l’ennui, vraisemblablement,
« Qui me fait voir, sans agrément,
« Ce lieu si bien fait pour me plaire.
« Ce que j’ai, je ne le sais pas,
« Mais, bien malgré moi, je soupire,
« Je ressens un grand embarras,
« Et ne sais ce que ça veut dire ! »


Bramah, sans se mettre en colère,
Reprit : — « Je veux y remédier,
« Et, sous peu, je vais t’envoyer
« Faire un petit tour, sur la Terre.


Ayant dit, il vous l’emmena
Dans son laboratoire
Et, toute une nuit, la trempa
Dans une onde préparatoire.
Puis, sans attendre davantage,
Il se mit à l’ouvrage,
En se disant :
« J’en veux faire un être charmant. »


Il fit une femme superbe.
Mais, se rappelant le proverbe :
Que, « dans les petits pots, sont les meilleurs onguents ».
Il la créa toute petite.
On eût dit une marguerite
Des champs,
Pour la délicatesse.
Ses cheveux étaient ondulés
Et noirs, ses ongles effilés,
Et ses pieds, d’une petitesse
À rendre tous les hommes fous ;
Les anges en étaient jaloux,
Ainsi !…
— « Maintenant, dit Bramah, ma fille,
« Tu vas quitter mon paradis ;
« Si tu veux suivre mon avis,
« Sois, pour tous, facile et gentille,
« Et quant à la sagesse, ajouta-t-il, tout bas…
« Tâche !… Fais ce que tu pourras !…
« Toute faute n’est pas damnable,
« Et, franchement,
« Je suis assez bon diable !
« Allons ! bonjour ; va, mon enfant. »


Dès que, chez les humains, elle fut arrivée,
D’une foule de gens elle fut entourée
Courtisée,
Adorée !
Des commerçants et des boursiers,
Des avocats et des artistes ;
Jusqu’à de méchants journalistes,
Tout le monde était à ses pieds !


Cependant, la brune Sémire…
(C’était son nom, et j’oubliais
De vous le dire ;
Mais il vaut mieux tard que jamais)
Sémire donc, avec indifférence,
Écoutait les propos d’amour,
Qu’on lui débitait chaque jour,
Et disait, avec innocence :
— « Non ! mon cœur n’aimera jamais !…
 


Mais quand vint le printemps d’après,
— C’était le seizième pour elle, —
Tout ce qu’elle vit l’étonna ;
La Nature lui sembla nouvelle,
Et tout son être frissonna.


— « Que se passe-t-il ? se disait l’enfant ;
« D’où vient le changement
« Qui m’agite ? Une étrange sève
« Trouble et brûle mon sang ;
« Je crois vivre, et pourtant, je rêve.


« En voyant le cristal des eaux,
« En voyant les petits oiseaux
« Qui passent ;
« Qui chantent doucement,
« Et puis, si tendrement,
« S’embrassent,
« Mon âme entrevoit des plaisirs,
« Et je sens de hardis désirs,
« Auxquels je ne sais que faire,
« Pour y satisfaire !…  »


Un élève de Faculté,
Entendant cette doléance,