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magnifique ; eux me rendent d’affreuses épreuves sur lesquelles je me crève les yeux, des épreuves qui seraient inintelligibles, si j’en laissais à leur prote la correction première.

Je ne connais pas de tâche plus hébêtante que la toilette définitive d’un manuscrit. C’est le rapetissement, la défiguration des idées primitives négligemment jetées sur le papier ; c’est comme une circoncision, une coupure ; c’est une souffrance plus vive que celle du cultivateur qui taille ses haies fleuries en poussant des soupirs.


Je me soumettrais avec bien plus de résignation à ces rigueurs, si je ne savais pas que les hommes n’auront plus à en souffrir dès la fin de ce siècle.

45 Alors l’instruction et la liberté s’étant répandues sur la terre fortunée, les bons typographes et les bonnes presses seront multipliées à l’infini. — Tout écrivain pourra les avoir à sa disposition et surveiller ses épreuves d’autant plus minutieusement qu’il sera plus méticuleux. — Alors l’impression d’un manuscrit, la plus affreuse des corvées quant à présent, deviendra la source de très grandes joies.

Alors on imaginera mille moyens de propager les chefs-d’œuvre de l’intelligence humaine. On choisira des passages entiers des meilleurs auteurs pour épigraphes de livres, de chapitres, d’almanachs, de nouvelles et de lettres. — On en fera des chansons, des prières de liberté pour les