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au sommeil fatal parce qu’il entend aboyer le chien de l’hospice de salut. Je reste dans le présent comme en une loge étroite d’où j’observe les magnifiques scènes de l’existence à venir ; je m’y considère comme en un séjour provisoire dont l’ameublement et la disposition m’importent peu. Dans ce passage, je subis avec résignation le mal de terre qui fait bien plus longtemps souffrir que le mal de mer.

Que le capitaine donne ses ordres ; que les marins déploient les voiles en chantant : que les pauvres diables de gouvernants dirigent comme ils pourront le vieux ponton civilisé, je ne dérangerai pas la manœuvre. À chacun sa tâche : Que les grands de la terre subissent les conséquences de leur vanité ! Quant à moi, perdu dans la contemplation des rivages lointains où m’attend le bonheur, mes vœux et mes regards suivront le petit mousse qui grimpe au haut des mâts pour répéter trois fois : Terre et verdure, salut !


17 août 1855. — Rien ne m’intéresse dans l’Europe actuelle, bruyante, ensanglantée, tassée, fumeuse, agioteuse, hâbleuse, hideuse comme un champ de foire ou de carnage. J’estime à zéro la valeur de ces milliers d’hommes empressés, titrés, décorés, endimanchés, ou déguenillés qui s’agenouillent sur le passage de deux souverains vivant de leurs sueurs !

Je pense que sujets et rois se valent, se méprisent, se volent, se trahissent, s’écorchent, se sa-