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fleurs éclatent à la fois. À quinze ans toutes nos filles ont aimé. À vingt-huit ans nos femmes sont vieilles ; à trente nos hommes ne comptent plus. — Viva l’hermano Christo ! — Béni soit l’Amour !

» Chez nous, quand le soleil se voile, c’est pour un instant. Les étoiles ne manquent guère plus d’une nuit dans le ciel. La colère, la jalousie, la vengeance, le délire d’amour, toutes les passions, frappent comme la foudre, pleurent comme l’orage, crient comme la tempête. Puis le ciel se rassérène, et les traits resplendissent de nouveau. Rien de triste ne saurait subsister parmi nous. — Deo gratias ! — Bénie soit la Gaîté !

» La cigale chante. L’ombre est bonne. Le travail est indigne des hommes libres. Nous avons du pain pour tout le jour ; demain, Dieu nous en donnera, si bon lui semble. — Si Dios quiere ! — Bénie soit la Liberté !


» Quittons l’ouvrage. Accordons nos guitares. Que le cigarro brûle. Suivons le côté de l’ombre et chantons des coplas aux belles demoiselles qui passent : — Salero !

» Ma capa me sert de lit ; le soleil est ma cheminée, le firmament, mon toit. J’achète un pain blanc, une tranche de sandia, un vasito d’aguardiente : j’en ai pour six cuartos par jour. Le dimanche, je fais ma provision de tabac pour la semaine. Que me faut-il de plus ? Ainsi j’attends le retour des étoiles dans les cieux et de ma maîtresse au balcon. — Salero !