Page:Cœurderoy - Jours d'exil, tome II.djvu/319

Cette page a été validée par deux contributeurs.

lège de soutenir un tel paradoxe ! Mais tout le monde sait, mais nous qui n’avons pas visité l’Espagne, nous tenons de source certaine qu’il se trouve au Prado une collection très variée d’hidalgos, de toreadores, de contrebandiers, de mantilles, de muletiers, de castagnettes et de sombreros. Nous savons que, sous les balcons voisins, on entend résonner les guitarres et les mandolines ; que les deux plus grandes rues du monde conduisent à cet Éden enchanté ; que les plus délicieux costumes y rivalisent d’éclat ; que les danses de caractère s’y balancent au souffle de la brise ; que les arbres y sont verts, la lune pâle, le ciel bleu, les étoiles brillantes. Nous savons beaucoup d’autres choses encore qu’on ne dit pas devant les dames. — Telles sont 193 nos convictions puisées dans les autorités les plus recommandables, celles qui font notre gloire aux yeux de l’univers lettré. »


Estimables abonnés, gardez vos convictions, dévorez dans vos soirées littéraires les illustres écrivains qui vous en préparent de bien plus cocasses encore. Quant à moi, pour l’expiation de mes péchés, j’ai foulé bien longtemps le sol du Prado tant vanté par le monde, et je n’y ai rien vu que la criarde parodie des Champs-Élysées.

De loin en loin quelques mantilles, pas une veste brodée, pas de sérénades, pas le moindre bolero. La manola, l’asturien, le majo, les derniers espagnols des romanceros meurent sur ce sol usé par les bottes de la fashion aux formes britanniques.