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grêle sur tes campagnes dévastées ! Que les eaux te submergent ! Que la Guerre secoue sur toi ses fureurs ! Que les hommes s’arment de poignards et soient renversés les uns contre les autres par les secousses du sol !

Moi, je suis bien ici. Mon corps est détendu, sans besoins, sans douleurs ; l’harmonie des flots bleus le berce doucement, comme la mère attentive son enfant nouveau-né. Je rêve du beau lac, du robuste rameur, de cette voile qui passe, de l’étoile qui file, du manoir désolé, du cri de la chouette, du chant du rossignol, du murmure des forêts, de mon être fragile et des milliers de mondes balancés dans l’éther. — Salut, ô Liberté.


Et ce moi, qu’est-ce donc ? ce moi beau discoureur. Un brin d’herbe, un grillon, beaucoup moins qu’un bateau ! Que la peur me saisisse, qu’une crampe me prenne, que mes pieds s’embarrassent dans les touffes de joncs… Et l’affaire est réglée : cinq minutes suffisent. Et j’ai beau me débattre, crier et faire rage, autant en emporte le vent ! Personne ne m’entendra de la rive ; je ne ferai pas plus de volume qu’un ciron sur les eaux, et sur la terre l’on ne s’apercevra pas de mon absence !


Homme, nage doucement sur la mer sociale. Prends les vagues en long, tourne-les, monte-les comme des coursiers agiles. N’essaie pas de les boire ou de les arrêter. Ne sois point effrayé des herbes, des écueils. N’analyse point ta faiblesse,