Page:Cœurderoy - Jours d'exil, tome II.djvu/162

Cette page a été validée par deux contributeurs.

— Comme lui je vais passer sous bien des yeux : yeux courroucés de dignitaires, yeux de faucons de police, petits yeux de cochon, yeux louches de procureurs, yeux sournois de jésuites, yeux jaloux de tribuns, yeux vifs de jeunes garçons, doux yeux de jeunes filles, yeux fistuleux de bigottes, yeux pleurnicheurs de bourgeois. — Comme lui je recueillerai de 87 bien rares éloges, noyés dans une véritable inondation d’eau bénite de cour, d’insultes, de fureurs, de trépignements de pieds, de grincements de dents, de ruades d’ânes ou de bourgeois.

Comme ce livre je serai tourné, retourné, froissé, déchiré, brûlé, vendu, taxé, loué, déclamé, soigné, dorlotté, conservé sur le cœur ainsi qu’une relique. — Comme lui je renaîtrai, d’une édition à l’autre, pareil au beau phénix, l’oiseau mystérieux.

Avec mon livre, moi frileux, je me prélasserai sur les poêles de marbre à la douce chaleur. — Avec lui, moi touriste, je m’en irai, léger, à tous les bouts du monde. — Avec lui, moi liseur, je passerai mes jours dans les bibliothèques, parmi les bons auteurs, mes vieilles connaissances. — Moi rêveur, avec lui, peut-être inspirerai-je le poète naissant qui se défie par trop. — Moi flâneur, avec lui, je serai conduit aux belles promenades, aux entretiens d’amour, aux longues rêveries dans le fond d’un bateau. — Avec lui, moi câlin, je dormirai souvent sous la tête des femmes, leur prenant des baisers, leur buvant des soupirs !