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Les curieux, les gens importants, les amis du scandale et de la nouveauté, les membres des casinos de province, tous ces petits bourgeois touristes qui boudent le pouvoir, reviendront au sein de leurs familles, malins de visage, retroussés de nez, la bouche et les poches pleines de ce qu’on peut écrire à l’étranger contre l’ordre de choses régnant en France. Ils s’arracheront ces livres, ces brochures, les liront, les garderont précieusement sous verre, dans du coton, les cacheront, 69 les embaumeront, les feront dorer sur tranche parce qu’ils ne trouveront que là des vérités émises par des hommes libres de toute législation. Les gérants des journaux censurés s’arracheront des poignées de cheveux devant leurs caisses vides ; les procès pleuvront sur eux comme grêle dès qu’ils voudront se donner des airs un peu trop lestes. Les trafiquants britanniques se montreront pleins d’égards pour les proscrits qui leur feront gagner de l’argent. La Révolution roulera sur un char fait de livres sterlings !

Le jour enfin viendra dans lequel la pensée de l’individu remplira de terreur la force publique. Alors, si creux sera le sillon de justice tracé dans toutes les consciences que jamais pouvoir ne saurait le détruire. Alors l’Atlantique joyeux bondira sous les navires chargés de productions intellectuelles. Alors les hommes fixeront le rouge soleil sans être éblouis de sa gloire et de sa liberté. — Laudate !

Moi, je sème en chantant !