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merci. Je parle de ces poupées humaines dont on allonge ou rétrécit à volonté le visage, qu’on savonne, rase, pommade, frise, roussit, grille, plâtre, replâtre et retappe. Et qui restent là, plus patientes que des caniches qu’on tond ou des mulets qu’on ferre ! Et qui ne pourraient se passer un seul matin du contact gluant de la main du frater ! Je parle d’êtres vivants qui se laissent tailler en jardins anglais, en sacs, en boules, en momies, en brosses, en équerres, en pyramides, en triangles, en obélisques, ni plus ni moins que s’ils étaient des touffes d’ifs et des queues de cheval ! Ils font mon bonheur, ceux qui sont ravis de voir s’épanouir sur leurs faces une côtelette, une mouche, une impériale ou un as de trèfle ! Ils font ma joie, les héritiers de bonne famille qui s’attellent à leurs moustaches et tirent dessus pour leur faire gagner quelques lignes et défier le ciel de moins bas !

Mais non, je m’arrête. Ce persiflage me fatigue et me blesse moi-même. Je m’indigne de voir l’homme déformé de la sorte et de ne pas entendre les soupirs de son impatience, les cris de sa fureur. Je me demande comment il peut faire passer sous ce joug absurde sa gravité, sa force ; comment la femme peut y soumettre son bon goût, sa capricieuse délicatesse ; comment enfin l’être quelconque, imbu du sentiment de sa valeur, ne ressent pas une humiliation profonde quand il ne peut se distinguer de personne, même par la coupe de ses inexprimables. Oh quel siècle, celui dans lequel la même mesure toute petite, toute écono-