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d’ailleurs inutile, chacun pouvant trouver parmi ses proches ou ses meilleurs amis des noms à faire crever de rire.

Ce qu’il y a de certain c’est que les désignations les plus insignifiantes sont encore les moins lourdes aujourd’hui. Ce qu’il y a de positif c’est qu’il en est beaucoup dont on rougit tellement que, pour en avoir d’autres, on implore l’entremise des tribunaux suprêmes. Comme si le gouvernement avait rien à voir en cette affaire ! Comme s’il pouvait contraindre à porter tel nom ou à quitter tel autre !

Ou plutôt oui, le pouvoir a ce droit ; vous le lui avez donné, vous ses sujets. Car vous l’avez institué conservateur de l’ordre social actuel. Or cet ordre contre nature sanctionne la possession héréditaire et abusive qui se maintient uniquement au moyen des appellations. Le nom, c’est le numéro d’enregistrement à l’aide duquel l’autorité retrouve toujours ses amés et féaux esclaves. Le nom remplace l’homme, son cœur et sa vie, comme le capital remplace la chose, la terre, le travail et la valeur réelle. L’homme et la nature ont disparu devant la fiction.

Ergo, chantez, dansez, mariez-vous ! Vous resterez Têtus, Tordus, Bossus, Bancals, Boiteux, Manchots et Sourds tant que cela sera dans l’intérêt et le caprice de vos maîtres et seigneurs.

Si ces arrangements vous conviennent, hardi ! Messieurs et Mesdames ! faites vite des enfants ; que des noms aussi gracieux que les vôtres ne soient pas perdus pour la postérité !