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la terre ancestrale

les fait rêver tous : les rustres comme les érudits.

Comme tous les Canadiens qui habitent ses rives, Hubert, dans sa douleur, regarda le fleuve. Alors, les paroles de son père et de son curé, celles de sa mère et de sa sœur, lui revinrent à la mémoire. Pour la première fois peut-être, il contempla le décor qui l’environnait et lui trouva la vie. Dans son esprit, le Saint-Laurent, toujours fidèle, prit figure d’être vivant et sembla lui dire : « Tu as trahi. » Et les petites vagues courtes et blondes sous le soleil, lui parurent toutes siffloter : « Tu es félon, tu es félon. » Et les îles du large et les îlots tout près ; le panorama tout entier sembla s’animer pour lui crier : « Judas ! Judas ! »

Devant ces témoins moralement vivants et lui lançant l’opprobre, le jeune homme reconnut son infamie. Il voulut détourner la tête, mais une irrésistible fascination le retint. Baissant les yeux, il porta ses regards sur la bande de terrain qui, du pied de la côte, s’étend jusqu’à la mer. C’était là le premier coin de forêt défriché par les siens, cultivé par eux depuis trois siècles. Soudain, dans une vision, lui apparut toute l’histoire de sa race. Il vit le premier Rioux qui, monté dans un canot d’écorce, arrivait par le fleuve. Il était vêtu d’étoffe grise et les reins ceints d’une ceinture multicolore. Il prenait pied sur cette terre