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la terre ancestrale

avec son frère, guettait le moment favorable pour lui parler, parvint à le retenir à la cuisine. Avec sa sœur, le jeune homme causait plus librement qu’avec tout autre : elle avait toujours été sa confidente. Assis face à face, les coudes appuyés sur la table desservie et couverte d’une toile cirée, ils parlèrent d’abord avec contrainte ; peu à peu, les langues se délièrent, l’épanchement vint.

— Voyons Hubert, parle-moi donc un peu de ton séjour dans la ville.

Le frère lui détailla les parties de plaisir, l’attrait des théâtres, l’animation des rues, la vie sans surveillance, l’argent sonnante dans le gousset, enfin, tout ce qui le charmait dans la vie de citadin.

— Mon cher frère, lui répondit sa sœur, malgré tous les charmes que tu m’énumères, je ne voudrais pas de ta ville pour une fortune. Pas de chez soi bien à soi, pas un pouce de terrain privé ; des murs tout autour et au-delà l’étranger ? Je m’y sentirais comme dans une prison, j’étoufferais. Le bon air des champs n’y flotte pas ; le grand fleuve, tous les beaux sites qu’ici, en levant seulement les yeux, nous pouvons contempler, et l’herbe verte, et les fleurs, et les arbres, où sont-ils là-bas ? Tu ne vois que la pierre, et la pierre même n’est pas belle.

— Mais, ma sœur, il y a aussi de tout cela dans la