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la terre ancestrale

la maladie, il considérait les malaises des autres comme des faiblesses qu’il leur reprochait. C’était chez lui une certitude qu’il devait vivre son siècle, ne mourir que par le grand âge seulement. Maladies, accidents, misères de l’esprit et du cœur, rien n’avait prise sur lui : c’était un roc solide. Son bien, sa terre, c’était son grand amour ; il la préférait à nous tous, je crois, bien qu’il ait toujours fait preuve d’une grande bonté pour sa famille. Sa terre était sa passion, et sa passion l’a emporté. Il a voulu tenir tête, il a voulu le garder beau quand même son patrimoine, et son patrimoine l’a tué. Plus ses champs lui étaient cruels, plus il les chérissait ; tout comme je te caressais mieux quand tout petit, tu souffrais et me coûtait des veilles. Tu te souviens qu’il parlait toujours à ses bêtes comme à des êtres intelligents, à des amis. Eh bien, ces derniers temps, il causait de même à ses prés. On aurait cru qu’il perdait la tête ; mais moi je savais que c’était l’amour qui augmentait toujours et débordait.

— Maman, ce pauvre père ! sans doute c’est un péché véniel dont Dieu ne lui tiendra pas compte, mais ne trouvez-vous pas qu’il s’attachait un peu trop aux biens de la terre : ce n’est pas ce que conseille l’Église.

— Mon petit garçon, ce n’est pas la même chose. Ce n’est pas par amour du gain, ni pour accumuler des richesses