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la terre ancestrale

Après le départ de Delphis, Jeanne Michaud s’était remise à ses travaux domestiques. Inconsciemment, ses pensées trottaient : elles allaient d’Hubert à Delphis. Jusque là, elle n’avait jamais estimé Morin : même il lui était antipathique. Elle l’avait vu se poser hypocritement en rival de son fiancé : or, son âme, pleine encore d’un unique amour, lui faisait détester presque, celui qui se mettait entre elle et son ami. Hubert lui apparaissait noble et solide, devant l’autre superficiel et vain. La haine de Jean Rioux pour Delphis, ne contribuait pas à rehausser ce dernier dans l’esprit de la jeune fille : car sa grande admiration pour le vieil ami de son père lui faisait adopter les sentiments que le vieillard éprouvait pour autrui. Le citadin, cause première du départ de Rioux, lui avait à peu près volé son fiancé.

Après le départ du jeune voisin, elle avait d’abord beaucoup souffert : puis, petit à petit, sans cesser de l’aimer, elle s’était faite à l’idée qu’elle ne serait jamais à lui : l’éloignement engendre toujours l’indifférence. Elle se demandait souvent si Hubert l’avait réellement aimée : pas un mot de lui depuis son départ. Il est vrai qu’elle ne lui avait pas laissé d’espoir, s’il ne revenait pas. Mais alors, puisqu’il persistait dans son entêtement, il préférait les plaisirs de la ville à sa fiancée. Plus que tout, la lutte que livrait le