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CHEFS-D’ŒUVRE POÉTIQUES


Je sens gémir mon cœur, un poids affreux l’oppresse ;
O ma fille ! il te cherche, il t’appelle sans cesse.
Mes yeux furent, hélas ! témoins de ton trépas ;
Je sais que tu n’es plus, et je ne le crois pas.
En pleurant sur ta tombe, au Dieu qu’en vain j’implore
Ce cœur infortuné te redemande encore ;
Il s’attache égaré, frémissant, incertain,
Sur des restes muets qu’il repousse soudain.
Et, toujours renaissant dans mon ame éperdue,
Ce douloureux transport me ranime et me tue.
Du désespoir enfin la déchirante horreur
Suit ce doute insensé que dément ma douleur.
Je succombe ; mes yeux se couvrent d’un nuage ;
Je sens fuir ma pensée et même ton image ;
Ma voix ne gémit plus, mes yeux n’ont plus de pleurs ;
Avec le sentiment j’ai perdu mes douleurs.
Au sommeil malgré moi je cède anéantie ;
Pour prolonger mes maux il sépare ma vie ;
D’un ravissant prestige animant ses pavots,
Dans un songe plus doux que le plus doux repos,
Il suspend mes esprits et mon ame éperdue :
Le sort est désarmé, ma fille m’est rendue !
Mon cœur même est trompé, c’est elle, je la vois !
Et lorsque tous mes sens s’élancent à la fois,
Quand je crois la saisir hélas ! à chaque aurore,
Ma fille dans mes bras revient mourir encore.
La nuit, sourde à mes cris, emporte un songe vain,
Et replonge en fuyant le poignard dans mon sein.

Dieu, qui vois mes tourmens, hélas ! dès mon jeune âge,
J’aimai la vérité pour t’aimer davantage ;
À l’amour maternel qui fit tout mon bonheur,
L’amour de la vertu s’unissait dans mon cœur ;
Ce cœur trop malheureux t’offrit un pur hommage.