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CHEFS-D’ŒUVRE POÉTIQUES


Toujours fidèle à sa folie,
Quiconque écrivit écrira ;
Mais ce n’est plus qu’une manie,
Une habitude du cerveau ;
Et puis sans fin la plume trotte
Rien à rayer, tout paraît bon ;
On s’abandonne à sa marotte.
Ah ! que de vers on fait lorsqu’en vers on radote !
Pauvre Muse, pour vous je crains bien ce travers,
Et je ne sais pas trop si je le dis en vers ;
Car enfin, avouons la chose,
On finit par rimer en prose.
Croyez-en mes conseils, le public est malin,
Dérobons-lui notre déclin.
Peut-être il vous aime, mais il n’a nulle envie
Des fruits vains et tardifs de votre fantaisie.
Que pour nous désormais les vers ne soient qu’un jeu
Dont il n’ait point la confidence.
De labeur cela nous dispense,
Et nous n’en ferons pas pour peu ;
Puis je me garderai d’un indiscret aveu,
Trop heureuse, entre nous, de pouvoir en silence
Jeter tous nos chefs-d’œuvre au feu.
Mais, hélas ! vous partez. Ce périlleux voyage,
Muse, vous le ferez ; c’est votre dernier vœu
Peut-être je voudrais, tranquille sur la plage,
Pour contenter encore un désir curieux,
Sur des flots incertains vous suivre au moins des yeux ;
Mais j’aperçois le noir rivage,
Et, sur son trône assis, l’inexorable Dieu
Que ne saurait fléchir Muse au gentil langage.
Déjà Caron m’appelle et m’attend au passage.
Puissiez-vous dans ce triste lieu
Ne me suivre jamais ! adieu donc, Muse, adieu.