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est fort et le goût faible, les Desroches n’ont guère imité de modèle que le blanc ivoire des doigts, la rose au poil d’or et aux yeux verts, et la maîtresse qui dedans la claire fontaine lave le flambeau de ses yeux. À l’exemple du maître, elles décochent souvent le sonnet ; mais entre leurs mains il n’est pas flèche, il est massue ; cependant la sensibilité éclate çà et là, et quelque part la muse a trouvé des larmes poétiques pour une amie morte.

Mademoiselle de Gournay, la fille d’alliance de Montaigne, comme il l’appelle dans ses Essais, celle qui disait de la poésie de Malherbe : C’est du bouillon clair, appartient aussi au groupe de Ronsard ; c’est du Bellay qu’elle imite, du Bellay qui, relativement au maître, est un affaiblissement, mais à nos yeux un amendement et un correctif ; elle est, je crois, dans cette école celle qui tint bon la dernière, une troisième édition de ses œuvres ayant été publiée vers 1640, treize ans après la dernière et définitive de Ronsard.

Tout en poursuivant cette petite revue, qui n’a d’autre but que de chercher à éclaircir ce qui peut l’être, nous ne voudrions pas nous donner le ridicule d’un classificateur quand même : le moindre inconvénient attaché à ces rapprochements et enrôlements de vive force, c’est que celui qui se les permet tient sans cesse suspendu sur sa plume l’écrasant démenti d’une date ; aussi n’osons-nous rien trancher au sujet de Louise Labé, muse assez féconde, élégiaque et semi-érotique, copiste de Tibulle et d’Ovide, imitatrice de l’Arioste dans le détail, mais que nous ne saurions rattacher à aucun poète éminent de son siècle. Son allure est leste, sa manière indisciplinée et sa versification chaleureuse et inégale. Elle passa, dit-on, sa vie dans les camps, en Provence et en Espagne, vie toute guerrière, chevaleresque et galante, et que reflètent assez exactement ses productions, où domine un sensualisme exalté et raffiné, mêlé toutefois d’une dose de mélancolie amoureuse qui le rehausse et le corrige. Elle fut la contemporaine et peut-être l’émule de Bellaud, le restaurateur de la poésie provençale au seizième siècle, mais restaurateur sans postérité féminine directe, si ce n’est la demoiselle Altoviti de Châteauneuf, qui a consacrée sa mémoire des stances qu’on trouvera légitimement à leur place dans ce volume[1], et Antoinette de Loyne, qui n’a fait que des traductions.

De Ronsard à Malherbe, et à côté de chacun d’eux, il y a

  1. Brantôme a peint en deux lignes cette demoiselle Altoviti, sorte de virago qui ne met rien, par exemple, de ses passions dans ses vers. « La demoiselle de Châteauneuf ayant trouvé, dit-il, son amant en paillardise, le tua virilement d’un coup de couteau. »