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cette nécessité peut-être d’imitation, il arrive parfois qu’une certaine pointe d’originalité perce et se fait jour ; l’émotion intime et vraie, la fleur de poésie sort, se dégage des embranchements du langage et s’épanouit. C’est le cas plus que jamais de dire que chacune d’elles a son heure ou son jour de gloire, chacune (sauf l’exception inévitable en tout) met son clou d’or au monument et y scelle son nom, impérissable désormais, à commencer par Marguerite de Valois et pour finir à madame Deshoulières, dernier nom de cette seconde série que j’imagine assez arbitrairement, puisqu’elle comprend une génération de femmes-poètes qui sont loin d’appartenir à la même famille et au même groupe littéraire, mais qui offre cette commodité de pouvoir présenter de front et sans interruption notable les imitatrices et disciples de tous les réformateurs successifs : Clément Marot, Ronsard, Malherbe et Boileau.

Marguerite, la première, la galante reine de Navarre, et l’auteur présumé et probable en partie de l’Heptaméron qui porte son nom, figure ici pour quatre pièces qui la peignent parfaitement : des couplets à Jésus-Christ, et un portrait, au moins flatté, de son frère François Ier ; un cantique, la perfection du chrétien, et un billet, presque un billet doux, à Clément Marot, son maître, jusqu’au jour où Bonaventure Desperriers lui fut substitué. Suit sa fille Jeanne d’Albret, la mère de Henri IV, la savante et forte femme, qui n’a laissé en fait de vers qu’un quatrain et l’impromptu naïf qu’on lira, à Joachim du Bellay, ce qui ne veut pas dire qu’il ait été son maître en rien. Puis, pour en finir tout de suite avec les reines et princesses, les stances connues de Marie Stuart, que la chronique attribue à Chatelart ; et seize vers de Diane de Poitiers, vers confidentiels et charmants, qui ne sentent nullement l’école.

Avec les dames Desroches mère et fille nous entrons en pleine roture et en plein Ronsard. Savantes comme lui, mais plus retenues et moins oseuses, elles reproduisent son tour, sa manière, ses épithètes accoutumées, et par conséquent ses rimes. On sait que deux des grands chevaux de bataille de Ronsard, ceux qui ont contribué à lui faire gagner et peut-être perdre sa couronne, ce furent Anacréon et Claudien. Le thème journalier des dames Desroches, c’est l’ode anacréontique ; leur auteur de prédilection, c’est Claudien, qu’elles ont traduit en entier. Si l’entrain littéraire, la bonne foi et l’ingénuité dans le travail, si l’érudition et la patience pouvaient tenir lieu de génie, nulle autre muse ne serait placée plus haut qu’elles. Malheureusement, et voilà un exemple éclatant des victimes que fait toujours tout réformateur dont le talent