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flottantes, les genres variables, et la tradition aussi, sauf pour ce qui touche aux nécessités fondamentales et consacrées de la langue. De là, à dire qu’en poésie (d’autres ajouteront : et en littérature) toute école est fantastique et fausse, il n’y a qu’un pas, et on pourrait le faire s’il n’était indispensable de tenir compte du degré de vérité relative qui se trouve partout. Depuis l’époque des trouvères jusqu’à nos jours, une foule d’écoles poétiques se sont succédé et se sont détrônées tour à tour pour renaître et se relever plus tard, à distance, sous des noms et dans un costume différents ; la plupart ont eu des prétentions démenties par leur fortune ; mais qu’elles aient aidé, les unes au progrès de la langue, les autres au mouvement des esprits ; qu’elles aient eu toutes leur part, petite ou grande, d’influence générale et de légitimité traditionnelle, c’est ce qu’il serait difficile de nier. Les documents sont précis et les résultats irrécusables. Il est curieux d’observer dans le passé, même au point de vue d’une poésie de femmes, cette lutte de systèmes, inoffensifs après tout, comme tout ce qui est querelle de formes et de rhythmes : de quel droit d’ailleurs, nous autres contemporains, irions-nous montrer de la sévérité ou du dédain pour des petites passions que nous partageons encore, tout en leur donnant un autre théâtre et un autre but ?

Le premier éveil de la poésie française coïncide, comme chacun sait, avec la grande commotion religieuse et politique du moyen âge : l’entraînement chevaleresque, fruit des croisades, mêlé à la vieille sève gauloise, suscita le fabliau. Il s’y joignit tout de suite un esprit de moquerie et d’ironie, résultat de la science confuse et contradictoire du temps : le Roman de la Rose en est l’éclatante expression. Malgré cette intervention anti-poétique, l’élan était imprimé, il subsiste et déjà des femmes y prennent part. C’est Barbe de Verrue, Provençale, auteur de Griselidis et d’Aucassin et Nicolette (fabliau mis en roman et au théâtre presque de nos jours) ; c’est, un peu plus tard, et dans le nord de la France, Doëte de Troyes et Marie de France, talents pleins de fraîcheur et de grâce, dont les essais ont pu, bien mieux que ceux de Passerat, suggérer à La Fontaine l’idée et le cadre de ses fables. Ces trois poètes qui, avec quelques autres, se donnent la main le long du treizième siècle, depuis Philippe-Auguste jusqu’à Philippe-le-Bel, adoucissent en la décorant la rudesse de l’instrument trouvé. Dans le siècle suivant et jusque vers la première moitié du quinzième, l’instrument commence à chanter faux, ses cordes se mêlent et s’embrouillent, le fabliau se délaye en tensons, rondeaux et complaintes ; le prosaïsme