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il n’apportait dans le monde aucun élément idéal d’hostilité.

Il aurait pu en être de même du Christianisme, si, demeurant fidèle à son origine orientale, il n’avait pas contracté avec les éléments mondains et passionnés de la société gréco-latine une pernicieuse alliance. Devenu dans presque toute l’Europe un établissement politique, non moins qu’une institution religieuse, il a entraîné, au milieu du bien qu’il faisait, des maux qui ne semblent pas près de finir. Il est donc important pour la théorie des religions de savoir comment naissent les orthodoxies, dans quelles conditions elles grandissent, par quels moyens elles se propagent, et comment la force des choses les conduit fatalement à leur fin.

La religion naît d’un phénomène psychologique, et la doctrine est primitivement individuelle. En cela, elle ne diffère en rien des opinions que les hommes peuvent se faire sur quelque sujet que ce soit. Ces opinions ne se laissent ordinairement apercevoir que quand elles ont conquis des prosélytes, que les suffrages de plusieurs personnes en ont fait une sorte d’opinion commune. Mais si toute pensée est un phénomène individuel, toute opinion est née d’abord de l’esprit de quelqu’un, avant d’être l’opinion d’un plus grand nombre. C’est ce qu’a prouvé cent fois dans ces derniers temps la marche des théories scientifiques ; presque toutes sont nées dans l’esprit de quelque savant obscur, à la vue des faits dont il cherchait l’explication ; ce premier chercheur a communiqué son idée à d’autres qui l’ont accueillie, modifiée, agrandie ; et le plus souvent elle n’est parvenue à une certaine notoriété qu’après avoir cheminé lentement, après avoir été patronnée et mise en lumière par quelque savant déjà connu.

Il en a été de même des religions, passées à l’état d’orthodoxies.