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INTRODUCTION À L’HISTOIRE

avadâna le radical d’où ce mot dérive employé verbalement avec cette signification spéciale. Il y est question d’une lampe qui est offerte au Buddha par une femme, et qu’Ânanda, son serviteur fidèle, ne peut éteindre. Voici la phrase elle-même : « Si j’éteignais (nirvâpayêyam) cette lampe, se dit-il ; et essayant de l’éteindre avec la main, il n’y put parvenir[1]. » Cette circonstance, pour le dire en passant, est rapportée à Mâudgalyâyana par le rédacteur d’une des légendes que M. Schmidt a traduites du tibétain[2] ; et j’y trouve une confirmation nouvelle de ce que j’ai dit dans mon premier Mémoire[3] touchant l’infériorité de la langue tibétaine à l’égard du sanscrit. Ici, en effet, l’interprète s’attachant au sens propre de nirvâpay, le rend avec raison par éteindre, en tibétain bsab-pa ; mais nous avons déjà vu, et nous allons dire de nouveau que Nirvâṇa dans le sens philosophique est uniformément rendu en tibétain par « l’exemption de la douleur, » de sorte que la belle analogie qui existe entre nirvâpay pris au propre et nirvâṇa employé au figuré ne peut même être soupçonnée dans la version tibétaine.

Le sens d’extinction est si intimement propre à ce terme de Nirvâṇa, que c’est à un feu qui s’éteint que l’on compare le Nirvâṇa, auquel on dit que parvient un Buddha, quand la mort achève de l’affranchir des liens du monde. J’en trouve une preuve dans ce passage curieux de l’Avadâna çataka : Yâvad Vipaçyî samyak sam̃buddhah sakalabuddhakâryam krîtvâ indhanakchayâd ivâgnir nirupadhiçêchê nirvâṇadhâtâu parinirvrĭtah[4], passage dont la version tibétaine se lit dans le Kah-gyur[5], et qui signifie : « jusqu’à ce qu’enfin Vipaçyin, le Buddha complètement parfait, après avoir rempli la totalité des devoirs d’un Buddha, fut, semblable à un feu dont l’aliment est consumé, entièrement anéanti dans l’élément du Nirvâṇa, où il ne reste plus rien de ce qui constitue l’existence. » Cette phrase renferme toutes les expressions relatives au Nirvâṇa ; il importe donc de l’examiner de près. Premièrement, j’observe que l’idée d’extinction y domine, et qu’un Buddha qui entre dans le Nirvâṇa définitif (parinirvrĭta) est comparé à un feu qui s’éteint faute d’aliments. Secondement, le terme de Nirvâṇa est accompagné du mot dhâtu, élément sur la valeur duquel il importe d’être fixé. Je regarde dhâtu comme une de ces dénominations de catégories qui abondent dans le style des Buddhistes, et qui tiennent au système classificateur de leur doctrine. L’élément du Nirvâṇa n’est certai-

  1. Divya avadâna, f. 42.
  2. Der Weise und der Thor, p. 262 du texte, et p. 328 de la traduction.
  3. Ci-dessus, premier Mémoire, p. 11 sqq.
  4. Avad. çat., f. 150 b.
  5. Mdo, vol. ha (xxix), f. 254 a.