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DU BUDDHISME INDIEN.

n’est guère cité que comme maître, ainsi qu’il l’est dans tous les Sûtras. De sorte que si les Tantras ne se fussent pas donnés pour des Sûtras, c’est-à-dire pour des livres émanés de la prédication de Çâkyamuni, son nom aurait bien pu n’y pas paraître, remplacé qu’il eût été par ceux des Buddhas surhumains dont l’existence et les qualités merveilleuses satisfont bien mieux la superstition moderne. C’en est assez, je pense, pour prouver que ces livres sont le résultat d’un syncrétisme assez récent, et qu’ils ne peuvent à aucun titre passer pour contemporains de Çâkya.

Mais ce résultat qui, présenté ainsi d’une manière générale, me paraît à l’abri de toute objection sérieuse, a besoin pour être admis définitivement d’être examiné de plus près, car il touche à la question difficile de l’alliance du Buddhisme avec le Çivaisme, question qui ne peut être ainsi tranchée d’une façon aussi expéditive. Les deux savants qui ont étudié ce sujet avec la connaissance la plus approfondie des documents orientaux, MM. Schmidt et G. de Humboldt, se sont demandé pourquoi le Buddhisme s’était plutôt allié au Çivaïsme qu’au Vichṇuvisme[1]. Sans chercher la raison de la préférence des Buddhistes pour Çiva, M. Schmidt fait observer que les Divinités çivaïtes, considérées par les Buddhistes comme des protecteurs et des gardiens de leur croyance[2], sont à leurs yeux des intelligences à proprement parler buddhiques (eigne Buddhaische Intelligenzen), qui ont pris de telles formes pour certains buts particuliers, et que c’est à ce titre seulement qu’ils reçoivent un culte. De son côté M. de Humboldt, contestant la plus grande partie des preuves que l’on tire des temples hypogées de l’Inde occidentale, en faveur d’une ancienne alliance entre le culte de Çâkyamuni et celui de Çiva[3], n’admet guère d’autre témoignage que celui de l’état actuel du Buddhisme au Népâl. S’appuyant en particulier sur l’opinion de Wilson qui établit par des raisonnements très-spécieux que le Çivaïsme des Buddhistes népâlais est celui de la secte indienne des Pâçupatas, ou des sectateurs de Çiva surnommé Paçupati[4], il remarque, d’après Colebrooke, que les Pâçupatas en

  1. Schmidt, Mém. de l’Acad. des sciences de Saint-Pétersbourg, t. I, p. 119. G. de Humboldt Ueber die Kawi-Sprache, t. I, p. 281.
  2. Schmidt, Geschichte der Ost-Mongolen, p. 342 et 355.
  3. C’est le docte Erskine qui, dans ses Mémoires souvent cités, avait étendu jusqu’au temple d’Éléphanta l’opinion que le Buddhisme s’y était anciennement associé au Çivaïsme. (Transact. of the lit. Soc. of Bombay, t. I, p. 231 sqq.) M. de Schlegel a fait contre cette opinion des objections très-fondées (Ind. Bibl., t. II, p. 447), qu’adopte M. de Humboldt. (Ueber die Kawi-Sprache, t. I, p. 281.) Mais M. de Humboldt pousse peut-être un peu trop loin le doute quand il avance que, sauf Buddha Gayâ, les temples et les monuments figurés de l’Inde ne prouvent pas démonstrativement l’existence d’une alliance entre le Buddhisme et le Çivaïsme. (Ibid., p. 283.) Cependant les cavernes d’Ellora sont de véritables temples buddhiques, et des voyageurs très-attentifs disent qu’il s’y trouve des statues de Çiva.
  4. Asiat. Researches, t. XVI, p. 472.