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INTRODUCTION À L’HISTOIRE

Les Dhâraṇîs, ou plutôt les livres qui renferment les formules ainsi nommées, paraissent ne pas se composer exclusivement de ces formules ; du moins je trouve dans le commentaire du Vinaya sûtra une citation extraite d’un livre de ce genre, qui a pour titre : Vadjramaṇḍâ dhâraṇî. C’est peut-être le même ouvrage que le Vadjra hrĭdaya de la collection tibétaine[1]. Ce morceau est exclusivement spéculatif, et il nous offre une nouvelle preuve de l’alliance intime que le système des Tantras a contractée avec la philosophie buddhique la plus élevée. Je le cite, parce que c’est un passage où le nihilisme, résultant comme je l’ai fait voir de la doctrine de la Pradjñâ, est poussé jusqu’à ses dernières limites.

C’est parce que l’on emploie un bâton, parce que l’on prend un morceau de bois inflammable, parce que l’homme agite sa main, c’est, dis-je, par toutes ces causes que naît la fumée, et qu’ensuite paraît le feu. Or cette fumée et ce feu ne doivent être attribués exclusivement ni au bâton, ni au morceau de bois inflammable, ni au mouvement de la main de l’homme ; c’est de la même manière, ô Mañdjuçrî, que, pour l’âme de l’homme égaré par la croyance à ce qui n’existe réellement pas, naît le feu de l’amour, celui de la haine, celui de l’erreur. Et ce feu ne se produit ni à l’intérieur [exclusivement], ni à l’extérieur, ni indépendamment de l’intérieur et de l’extérieur.

Maintenant, ô Mañdjuçrî, d’où vient que ce qu’on appelle l’erreur porte ce nom ? C’est, ô Mañdjuçrî, que l’erreur (Môha) est ce qui est tout à fait lancé [produit au dehors, mukta] par toutes les conditions ; c’est pour cela que l’erreur se nomme ainsi Môha[2]. Toutes les conditions, ô Mañdjuçrî, sont la porte des Enfers ; c’est là un axiome de la Dhâraṇî. Mañdjuçrî reprit : Comment comprendre, ô Bhagavat, cet axiome de la Dhâraṇî ? — Les Enfers, ô Mañdjuçrî, sont créés par les hommes ignorants, qui sont trompés par la croyance à ce qui n’existe réellement pas ; ils sont le produit de leur imagination. Mañdjuçrî reprit : Sur quoi, ô Bhagavat, reposent les Enfers ? Bhagavat répondit : Ils reposent sur l’espace, ô Mañdjuçrî. Que penses-tu de cela, ô Mañdjuçrî : les Enfers n’existent-ils que dans l’imagination [de ceux qui les inventent], ou bien existent-ils de leur nature propre ? Mañdjuçrî reprit : C’est par un acte de leur imagination, ô Bhagavat, que les hommes ignorants croient aux Enfers, à des matrices d’animaux, au monde de Yama. C’est en donnant à ce qui n’est pas une fausse réalité qu’ils éprouvent la sensation de la douleur, qu’ils ressentent la douleur dans ces trois états qui leur sont infligés comme puni-

  1. Csoma, Analysis of the Sher-chin, dans Asiat. Res., t. XX, p. 499.
  2. Voilà de bien mauvaise grammaire pour appuyer des théories qui ne valent pas mieux ; les Brâhmanes en font souvent d’aussi pitoyables.