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INTRODUCTION À L’HISTOIRE

également familier à la littérature brâhmanique et à la littérature buddhique, tandis que celui de Dhâraṇi paraît exclusivement propre à la seconde. Ce mot, que Wilson donne dans son dictionnaire comme appartenant aux Buddhistes, signifie « celle qui renferme ou possède une grande efficacité. » Les Dhâraṇîs forment d’ordinaire une phrase intelligible, terminée par des monosyllabes bizarres qui n’ont généralement aucun sens. D’autres fois elles se composent de termes, les uns significatifs, les autres obscurs, qui sont presque toujours mis au locatif : on en trouve quelques spécimens dans le Lotus de la bonne Loi[1] ; il y en a qui occupent plusieurs lignes.

Déjà, en comparant les Sûtras simples aux Sûtras développés, j’ai dit que ces derniers avaient subi l’influence des idées familières aux Tantras, du moins en ce qu’ils ont admis des Dhâraṇîs ou formules magiques, faites pour assurer des avantages incalculables à ceux qui lisent les livres où on les trouve. Cette alliance des Dhâraṇîs avec les Sûtras Mahâyânas mérite d’être remarquée sous plus d’un rapport. En premier lieu elle n’existe pas pour les Sûtras primitifs, où je n’en ai reconnu qu’une seule trace. Cette trace unique se trouve, ainsi que je l’ai dit plus haut[2], dans la légende de Çârdûla karṇa, où Çâkyamuni révèle à Ânanda le Mantra de six lettres, cette célèbre formule dont Avalôkitêçvara passe pour l’inventeur, que M. Hodgson a trouvée gravée en caractères Randja et tibétain sur un temple situé entre le Népâl et le Tibet, et qui a donné lieu à tant d’interprétations différentes[3]. Mais j’ai exposé les raisons que j’avais de croire que cette légende n’était pas une des plus anciennes. En second lieu, la présence des Dhâraṇîs dans les Mahâyâna sûtras peut s’expliquer de deux manières : ou bien les Dhâraṇîs y sont contemporaines de la rédaction du texte, ou bien elles ont été introduites après coup. Il est bien difficile de décider entre ces deux hypothèses ; seulement je remarque que les plus importants des Mahâyâna sûtras ont chacun leur Dhâraṇi, et qu’on en a même fait des recueils. Il existe à la bibliothèque de la Société Asiatique une compilation de ce genre, dans laquelle on peut prendre une idée de la composition et du sens de ces formules. Chacune d’elles porte un titre qui indique à la fois et son origine et sa destination. Ainsi le volume s’ouvre par les Dhâraṇîs de plusieurs ouvrages célèbres, comme la Pradjnâ pâramitâ en cent mille stances, le Ganda vyûha, le Samâdhi râdja, le Sâddharma Langkâvatâra, le Sâddharma puṇḍarîka, le Tathâgata guhyaka, le Lalita vistara, le Suvarṇa prabhâsa, la Pradjnâ pâramitâ en huit mille stances. L’existence d’un

  1. Le Lotus de la bonne Loi, ch. xxi, f. 208 a sqq. du texte, et p. 238 sqq. de la trad.
  2. Sect. II, p. 107 et 108.
  3. Remarks on an Inscript, in the Randjâ, etc., dans Journ. Asiat. Soc. of Bengal, t. IV, p. 196 sqq.