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INTRODUCTION À L’HISTOIRE


au plus haut degré l’histoire ancienne de cette religion. Mais ce n’est pas ici le lieu d’en faire l’application complète et d’en développer les conséquences. Ce sujet trouvera naturellement sa place lorsque je comparerai la collection buddhique du Nord à celle du Sud. Il me suffit de dire, en attendant, que les Tantras sont aussi inconnus à Ceylan que les Divinités nombreuses à l’adoration desquelles ils sont consacrés.

Les Tantras appartiennent donc à la forme la plus compliquée du Buddhisme septentrional. Du moins on y trouve la trace de conceptions très-diverses qui n’ont pu s’élaborer que successivement. Ainsi à côté du Buddha humain, Çâkyamuni, paraissent et le système des Buddhas et des Bôdhisattvas célestes, qu’il est bien difficile de regarder comme la forme primitive du Buddhisme, et la notion d’un Âdibuddha ou d’un Buddha suprême répondant au Brahma du Brâhmanisme, notion qui, suivant Csoma, serait primitivement étrangère à l’Inde et n’y aurait pas été introduite avant le xe siècle de notre ère[1]. Aux cinq Dhyâni Buddhas, les Tantras en ajoutent même un sixième, nommé Vadjra sattva, qui répond au sixième sens, ou au sens interne, Manas (le cœur), et au sixième objet sensible, Dharma (le mérite ou la loi morale) que saisit le Manas, tout comme les cinq autres Buddhas répondent, ainsi qu’il a été dit plus haut, aux cinq sens et aux cinq qualités sensibles[2]. Toutes ces notions, jointes à l’adoration des énergies femelles des Buddhas et des Bôdhisattvas, et à celle d’autres Divinités connues pour la plus grande partie des Çivaïtes, sont dans ces livres associées de la manière la plus étroite au culte dont Çâkyamuni est l’objet, ainsi qu’aux doctrines spéculatives que son enseignement a pour but de populariser. Le fondateur du Buddhisme y est même positivement représenté comme l’instituteur du rituel et des prières magiques des Tantras. Le mélange de ces deux ordres d’idées qui, par leur expression et leur objet, sont presque l’opposé l’un de l’autre, est si intime dans les Tantras, que si l’on ne possédait pas d’autres spécimens du Buddhisme népâlais, on se ferait de cette croyance une idée fort éloignée de celle que nous en donnent les textes dont j’ai parlé jusqu’ici.

Je sais bien que le caractère de livres inspirés est attribué aussi aux Tantras, puisqu’à l’exemple des ouvrages canoniques, ces traités se donnent pour la parole même du dernier Buddha humain. Mais ces livres fournissent eux-mêmes contre

  1. Csoma, Analys. of the Sher-chin, dans Asiat. Res., t. XX, p. 488 et 564.
  2. Hodgson, Quotat., etc., dans Journ. Asiat. Soc. of Bengal, t. V, p. 79, note. Notice of three tracts, etc., dans Asiat. Res., t. XVI, p. 458 et note 1. C’est pour cela que Csoma, dans son analyse de la collection tibétaine des Tantras, accompagne d’ordinaire le nom de Vadjra sattva, littéralement « l’être précieux, » de cette définition, « la suprême intelligence. » (Analys. of the Sher-chin, dans Asiat. Res., t. XX, p. 491, 496, 503 et 549.)