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INTRODUCTION À L’HISTOIRE

Le seul qui n’ait pas encore paru est celui de la Sam̃djñâ ou de l’idée ; Csoma de Cörös y voit la conscience ; mais les commentateurs brâhmaniques, réfutant les Buddhistes, me paraissent mieux comprendre la valeur de ce terme, quand ils le traduisent par « la connaissance ou l’opinion qui résulte des noms, des mots, des signes et des caractères[1]. » Le mot idée me semble rendre exactement cette nuance.

Mais d’où vient que ces cinq attributs du sujet vivant sont nommés Skandhas, branches ou agrégats ? Les divers peuples qui ont adopté le Buddhisme, autant du moins que leurs ouvrages me sont connus, nous donnent peu de lumières à cet égard ; et pour n’en citer que deux exemples, les Tibétains, avec leur traduction de monceau, accumulation, et les Chinois, avec celle d’amas, ne nous apprennent absolument rien de plus que le sanscrit Skandha. Schröter, il est vrai, traduit le terme tibétain phung-po Inga (qui est le sanscrit pañtcha skandha) par « les cinq corps, c’est-à-dire les cinq attributs corporels composés[2] ; » mais cette version n’est pas suffisamment claire. Il en faut dire autant de celle des Barmans qui rendent ainsi le pâli khandha : « Corps, animal vivant, composé de cinq parties, savoir : la matérialité, rûpakkhandha ; la sensation, vêdanakkhandha ; la perception (pour moi l’idée), saññânakkhandha ; la volonté (pour moi les concepts), sam̃khârakkhandka, et l’intelligence (pour moi la connaissance), viññânakkhanddha[3]. » Cette interprétation est plus claire, mais elle dépasse le but : Skandha ne peut signifier corps vivant ; ce serait plutôt partie qu’il faudrait dire, le corps produit de la naissance étant formé des cinq Skandhas ou parties. Mais je trouve dans le commentaire de l’Abhidharma un passage qui rend compte d’une manière très-satisfaisante de l’emploi de ce terme, dont il est si difficile de comprendre la signification d’après la seule valeur étymologique. Après avoir exposé que Skandha, masse, est synonyme de râçi, monceau, amas, Yaçômitra ajoute : « La sensation, de quelque nature qu’elle soit, passée, future, présente, intérieure, extérieure, considérable, subtile, éloignée, immédiate, étant réunie en une seule masse, prend le nom de Vêdanâ Skandha, l’agrégat de la sensation ; et il en est ainsi des autres agrégats, jusques et y compris celui de la connaissance[4]. » On voit par là que dans une traduction française, par exemple, il n’y a aucun inconvénient à omettre le mot agrégat, car l’expression abstraite la sensation résume par sa généralité même les divers accidents de

  1. Colebrooke, Miscell. Essays, t. I, p. 394. C’est aussi le sens du tibétain Hdu-ches, idée.
  2. Bhotanta Diction., p. 188, col. 2.
  3. Judson, Burman Diction., p. 88.
  4. Abhidharma kôça vyâkhyâ, f. 31 b de mon manuscrit.