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INTRODUCTION À L’HISTOIRE

vide absolu que les Brâhmanes, adversaires des Buddhistes[1], disent être le dogme de l’école Madhyamika, école qui, nous l’avons vu, est celle du célèbre Religieux Nâgârdjuna. Mais à prendre à la lettre la définition précitée de l’Avidyâ, il reste toujours un principe sensible, comme dit le commentateur de M. Hodgson, un esprit ou une âme, le sujet ou la personne en un mot, qui peut ignorer ou connaître la vérité touchant les choses, et qui, si elle l’ignore, tombe sous l’empire des causes et des effets, et roule, jusqu’à ce qu’elle ait pu s’en affranchir, dans le cercle éternellement mobile de la transmigration. Les livres de la Pradjñâ parlent quelquefois de ce principe que je crois être leur Tchitta (l’esprit) ou leur Pudgala (la personne, l’âme). Mais il est certain que la théorie des causes et effets en présuppose l’existence ; car il faut bien qu’il y ait un sujet intelligent, puisqu’il y a possibilité d’erreur ou d’ignorance à l’égard de l’objet. L’existence du sujet pensant est d’ailleurs directement établie par le fragment suivant d’un Sûtra, que je cite d’après le commentateur de l’Abhidharma kôça.

« Je vais vous enseigner, ô Religieux, ce que c’est que l’existence (Bhava), ce que c’est que l’acte de recevoir l’existence et celui de la rejeter, ce que c’est que celui qui revêt l’existence. Écoutez cela, et fixez-le bien et complètement dans votre esprit : je vais parler. Qu’est-ce que l’existence ? Ce sont les cinq attributs, causes de la conception. Qu’est-ce que l’acte de recevoir l’existence ? C’est le désir qui renaît sans cesse, qui est accompagné d’amour et de jouissance, qui se satisfait çà et là. Qu’est-ce que l’acte de rejeter l’existence ? C’est l’abandon complet, le rejet absolu, l’expulsion, la destruction, le détachement, la suppression, la cessation, la disparition de ce désir qui renaît sans cesse, qui est accompagné d’amour et de jouissance, et qui se satisfait çà et là. Qu’est-ce que celui qui revêt l’existence ? C’est la personne (Pudgala), faudrait-il dire ; [mais Çâkya dit :] C’est ce personnage respectable que vous voyez, qui a un tel nom, qui est de telle famille et de tel lignage, qui prend de tels aliments, qui éprouve tel plaisir et telle peine, qui a un si grand âge, qui vit depuis si longtemps, qui est si respectable ; c’est là celui qui revêt l’existence. Or par ces mots, qui revêt l’existence, Çâkya entend désigner la personne, le Pudgala. L’existence n’est pas celui qui revêt l’existence[2]. »

    dont il est ici besoin. Cependant je ne voudrais pas identifier Avidyâ avec le néant ; car les passages subséquents de votre Mémoire prouvent que l’homme doit détruire toutes ces notions, et surtout leur racine, l’Avidyâ, pour atteindre au néant. Je suis donc porté à croire qu’Avidyâ est l’illusion, l’extérieur qui manque de fond, la même notion que Mâyâ, avec cette différence toutefois que Mâyâ est le reflet de la vérité absolue et existante, tandis qu’Avidyâ est le reflet du néant. » (Voy. les additions, à la fin du volume.)

  1. Colebrooke, Miscell. Essays, t. I, p. 331.
  2. Abhidharma kôça vyâkhyâ, f. 474 a.