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DU BUDDHISME INDIEN.

vient mieux que celle de concept ou imagination. Ces deux interprétations ne sont pas d’ailleurs aussi éloignées l’une de l’autre qu’on pourrait le croire au premier coup d’œil : elles ne diffèrent que suivant le point de vue d’où l’on se place. Envisage-t-on les Sam̃skâras d’une manière abstraite ? ce sont les imaginations, les conceptions, les créations de l’esprit résultant d’une croyance erronée à l’existence de ce qui n’est pas. Les considère-t-on au contraire d’une manière concrète ou dans la réalité ? les Sam̃skâras sont les êtres, ces créations variées, qui sont des composés véritables, non-seulement parce qu’on se les représente formés de parties (sam̃skrita, confecta), mais parce qu’aucun être relatif n’est absolument simple.

L’Avidyâ ou l’ignorance est la douzième et dernière cause en remontant. C’est, comme le dit le texte souvent cité de M. Hodgson, « la fausse connaissance, sur quoi son commentateur ajoute : « L’existence du monde qui est dans un perpétuel mouvement dérive uniquement de l’imagination ou de la croyance qu’on a dans la réalité des choses ; et cette fausse opinion est le premier acte du principe sensible non encore individualisé ni revêtu d’un corps[1]. » C’est aussi de cette manière que l’entendent d’après Colebrooke les autorités brâhmaniques : « Avidyâ, l’ignorance ou l’erreur, est la méprise qui consiste à regarder comme durable ce qui n’est que passager[2]. » Il ne peut rester le moindre doute sur la valeur de ce terme ; il importe cependant de remarquer qu’il a un double sens, l’un objectif tiré de l’étymologie même du mot Avidyâ, c’est-à-dire avidyamânam, ce qui ne se trouve pas, ce qui n’existe pas, le non-être ; l’autre subjectif tiré de l’emploi ordinaire du mot Avidyâ, c’est-à-dire a-vidyâ, la non-science, l’ignorance. Le non-être et le non-savoir sont donc identiques ; et ainsi se trouve niée dans son origine l’existence de l’objet ou du monde, et jusqu’à un certain point, du sujet essentiellement relatif qui vit au milieu du monde[3].

On le voit, il ne faudrait pas beaucoup presser ce principe pour en tirer le

    or fancied thing le mot Hdu-vyed, synonyme tibétain de Sam̃skâra. (Vocab. pentagl., sect. xxii, n° 2.) Voy. les additions, à la fin du volume.

  1. Hodgson, Quotat., etc., dans Journ. Asiat. Soc. of Bengal, t. V, p. 78.
  2. Colebrooke, Miscell. Essays, t. I, p. 396.
  3. Voici la note de M. Goldstuecker sur Avidyâ : « Le terme d’Avidyâ est, à mon avis, différent d’Adjñâna, souvent employé dans le Vêdânta ; car je ne doute pas que celui-ci n’eût été employé si la doctrine buddhique n’eût pas voulu faire ressortir une autre notion, ou du moins une nuance d’une notion existante. Le mot d’ignorance ou de non-science donne lieu à la difficulté contre laquelle j’ai déjà fait quelques observations, c’est à savoir qu’il n’est applicable qu’à l’homme. Je crois plutôt que la signification que vous avez indiquée d’après l’étymologie avidyamâna est celle qui se rattacherait le mieux à la notion des Sam̃skâras telle que je l’ai expliquée. Car avidyamâna serait seulement la même chose que adjñânamâna, et aurait l’emploi général