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INTRODUCTION À L’HISTOIRE

gination, me paraît encore justifié par le passage suivant d’un commentateur singhalais. Le livre auquel je l’emprunte est le Djinâlam̃kâra, ou la description poétique des perfections du Djina ou du Buddha, écrite en pâli et accompagnée d’un commentaire composé dans la même langue. Le texte se demande : « Quel est celui qu’on nomme Buddha, Buddhô ko ti ? » et le commentateur développe ainsi cette question : « Buddhô li ko sattô va samkhârô vâ, Quel être réel, ou quelle conception, est celui qu’on nomme Buddha[1] ? » Dans ce texte, si je ne me trompe, sam̃khâra (pour le sanscrit sam̃skâra) est opposé à satta (pour sattva) ; et comme sattva signifie créature, être réel, il n’est pas douteux que sam̃skâra ne veuille dire conception. Mais, il ne faut pas l’oublier, ces conceptions ou concepts doivent être pris dans un sens très-large ; il faut y voir, avec le commentateur cité par M. Hodgson, des conceptions de l’intelligence, comme celle de l’existence du monde extérieur, puis des conceptions du cœur, si je puis m’exprimer ainsi, comme l’amour et la haine et les autres mouvements passionnés qu’excite la vue de ce monde illusoire[2]. Ici s’applique encore l’observation déjà faite sur la forme, la sensation et la conscience, c’est que les Sam̃skâras ou concepts sont de deux sortes : les uns sont ceux dont il vient d’être question, les autres reparaîtront tout à l’heure au nombre des cinq attributs agrégés par la naissance. Les premiers résultent de la croyance à l’existence de ce qui n’est pas, et c’est pour cela que l’on dit qu’ils ont leurs causes dans l’Avidyâ, l’ignorance ou le non-être.

À ces observations j’ajouterai que le terme de Sam̃skâra se traduit souvent d’une manière très-satisfaisante par composé ; j’en donnerai seulement pour exemple un passage que j’ai cité plus haut[3], et auquel cette signification con-

  1. Djinâlam̃kâra, f. 12 b de mon manuscrit.
  2. Voici la note de M. Goldstuecker relativement à ce terme capital : « Vous avez déjà fait ressortir l’importance du pluriel de Sam̃skâra, et je suis convaincu que ce nombre est décisif pour l’interprétation de cette notion. Seulement, je me permets de m’en tenir au sens établi dans la Mimam̃sâ, qui, loin de répugner à votre explication, la rend au contraire parfaitement, avec la seule différence d’une petite nuance, qui de son côté rétablit la bonne harmonie entre votre interprétation et l’usage ordinaire de ce mot. Le mot Sam̃skâra exprime dans cette philosophie la notion de moyen, en opposition à celle du but qu’il aide à accomplir. Le but reste ; le moyen s’en va, disparaît. Sam̃skâra est pour cela le terme ou la notion d’infériorité, parce qu’il n’est jamais employé qu’en vue de la supériorité du but. Le Buddhisme peut très-bien dire, je suppose, que tout en ce bas monde est inférieur, est pur moyen ; et cette condamnation à la moyenneté, ce qui veut dire seulement à l’infériorité, à la dégradation, ou plutôt cette infériorité elle-même devient alors la cause de la variété. Autant d’objets différents, autant d’objets qui ont la nature de moyen. En parlant d’après les vues du Buddhisme, je peux dire que la moyenneté (la somme de tout ce qui est moyen, à cause du pluriel) est la δύναμις (dunamis) de la variété. Le terme d’imagination, je crois, s’appliquerait seulement à l’homme, tandis que le terme indiqué trouve aussi bien place dans la création intellectuelle que dans le monde corporel. »
  3. Sect. II, p. 74. Les Tibétains entendent ce terme de même, car Csoma traduit par any real