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DU BUDDHISME INDIEN.

Ce titre est donc Pradjñâ pâramitâ, et il doit signifier « La perfection de la sagesse ; » mais quelque clair que semble être le sens de cette expression, la formation n’en est cependant pas régulière, et je ne sache pas que le mot pâramitâ soit jamais employé dans les ouvrages brâhmaniques avec le sens de perfection. Ce mot, en effet, est le féminin de l’adjectif pâramita signifiant : « celui qui est allé à l’autre rive, transcendant ; » mais ce n’est ni ce ne peut être un substantif. Or c’est comme substantif que l’emploient les Buddhistes, non-seulement ceux du Nord, mais aussi ceux du Sud, puisqu’ils comptent plusieurs Pâramitâs, celle de l’aumône, de la charité et de plusieurs autres vertus dont j’ai déjà donné les noms. Peut-être le mot de pâramitâ se rapporte-il à quelque terme sous-entendu, comme celui de Buddhi, « l’Intelligence, » par exemple, de sorte qu’on devrait traduire les noms des diverses perfections de cette manière : « [l’Intelligence] parvenue à l’autre rive de la sagesse, de l’aumône, de la charité, » et ainsi des autres[1]. Je ne donne cependant cette explication que comme une conjecture que je ne pourrais appuyer du témoignage d’aucun texte positif, parce que je n’ai à ma disposition aucun commentaire de la Pradjñâ. Je dirai seulement que l’expression de pâramitâ une fois introduite dans la langue avec l’ellipse que je suppose, a pu y rester et y prendre par extension la valeur d’un substantif, à cause de sa ressemblance extérieure avec un nom abstrait, tel que ceux qu’on forme au moyen de la syllabe ta, formative bien connue des noms de qualité.

Les quatre sections de la Pradjñâ pâramitâ en cent mille articles, et l’édition

  1. Les Tibétains, comme les Mongols, font du terme de pâramitâ un participe signifiant « qui est parvenu à l’autre rive. » (Csoma, Asiat. Res., t. XX, p. 393. Schmidt, Mém. de l’Acad. des sciences de S.-Pétersbourg, t. II, p. 14.) Mais ils se débarrassent dans leurs traductions de la difficulté que fait naître le genre du terme pârimatâ : Je crois faire plaisir au lecteur en transcrivant ici deux autres explications de ce mot difficile que je dois à M. Théod. Goldstuecker, avec lequel je m’étais entretenu à ce sujet. « La première explication que je propose consiste à regarder pârimatâ comme un substantif abstrait en ta, dérivé de pradjnâ pârami, composé tatpurucha, dont la dernière partie serait alors formée, avec vrĭddhi de la première syllabe, par l’affixe i ou in, lequel ne sert, suivant Pâṇini, qu’à la dérivation de patronymiques. Dans ce cas, Pârami signifierait un descendant de Parama ; et si ce dernier mot pouvait passer pour une dénomination de Buddha, le sens du composé abstrait serait : la Pradjñâ ou science suprême, qui est une fille du Buddha. Cependant cette explication me paraît tant soit peu artificielle, et je demanderais plutôt s’il n’y aurait pas lieu de regarder pradjñâ et pârimatâ comme deux mots distincts : La science qui est arrivée au-dessus de tous les doutes : car je crois qu’il n’y a aucune difficulté à se servir de para de cette manière absolue, quand l’équivoque devient impossible. » Cette dernière explication n’est pas très-éloignée, comme on le voit, de celle que je propose ; seulement je sous-entends Buddhi au lieu de Pradjñâ ; quant à la première, je pense avec M. Goldstuecker qu’on ne pourrait la défendre. Je n’en crois pas moins que Pârimatâ est considéré par les auteurs buddhistes comme un substantif, et je me trouve confirmé dans cette hypothèse par le mot Pârami, qui en pâli est synonyme de Pâramitâ.