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DU BUDDHISME INDIEN.


arrache-le. L’homme l’arracha, en effet, et le posa dans la main du prince. En ce moment, Kunâla, qui venait de perdre les yeux de la chair, mais en qui ceux de la science s’étaient purifiés, prononça cette stance :

L’œil de la chair, quoique difficile à saisir, vient de m’être enlevé ; mais j’ai acquis les yeux parfaits et irréprochables de la sagesse.

Si je suis délaissé par le roi, je deviens le fils du magnanime roi de la Loi, dont je suis nommé l’enfant.

Si je suis déchu de la grandeur suprême, qui entraîne à sa suite tant de chagrins et de douleurs, j’ai acquis la souveraineté de la Loi, qui détruit la douleur et le chagrin.

Quelque temps après, Kunâla sut que son supplice n’était pas l’œuvre de son père Açôka, mais que c’était l’effet des intrigues de Tichya rakchita. À cette nouvelle il s’écria :

Puisse-t-elle conserver longtemps le bonheur, la vie et la puissance, la reine Tichya rakchita, qui a mis en usage ici ce moyen qui m’assure un si grand avantage !

Cependant, Kâñtchana mâlâ apprit qu’on avait arraché les yeux à Kunâla. Aussitôt, usant de son droit d’épouse, elle se précipite à travers la foule pour aller trouver Kunâla, et le voit privé de ses deux yeux et le corps tout couvert de sang. À cette vue elle s’évanouit et tombe à terre. On s’empresse de lui jeter de l’eau et de la rappeler à elle. Quand elle eut commencé à reprendre ses sens, elle s’écria en versant des larmes :

Ces yeux ravissants et aimés, qui, en me regardant, faisaient mon bonheur, maintenant qu’ils sont jetés à terre et privés de la faculté de voir, je sens la vie abandonner mon corps.

Alors Kunâla, voulant consoler sa femme, reprit ainsi : Fais trêve à tes larmes ; tu ne dois pas te livrer au chagrin. Chacun recueille la récompense des actions qu’il a faites en ce monde. Et il prononça cette stance :

Reconnaissant que ce monde est le fruit des œuvres, et que les créatures sont condamnées au malheur ; sachant que les hommes sont faits pour se voir enlever ceux qui leur sont chers, tu ne dois pas, chère amie, répandre de larmes.

Ensuite, Kunâla sortit avec sa femme de Takchaçilâ. Le prince, depuis le moment qu’il avait été conçu dans le sein de sa mère, avait toujours eu un corps très-délicat. Il ne pouvait donc se livrer à aucun métier, et il ne savait que chanter et jouer de la Vîṇâ. Il allait mendiant sa nourriture, et partageait avec sa femme ce qu’il ramassait. Kâñtchana mâlâ, reprenant la route par laquelle elle avait été amenée de Pâṭaliputtra, la suivit accompagnée du prince ; et une fois