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DU BUDDHISME INDIEN.


dit auprès d’Açôka. Mais en ce moment le roi se réveilla tout effrayé. Qu’y a-t-il ? lui dit la reine. Je viens d’avoir, répondit le roi, un triste songe ; je voyais deux vautours qui voulaient arracher les yeux de Kunâla. Bonheur au prince ! s’écria la reine. Une seconde fois encore le roi se réveilla tout effrayé. Ô reine, dit-il, je viens d’avoir un triste songe. Et quel songe ? lui demanda la reine. Je voyais, dit le roi, Kunâla qui était entré dans la ville avec des cheveux, des ongles et une barbe longue. Bonheur au prince ! s’écria la reine. Enfin, le roi s’étant endormi de nouveau, Tichya rakchitâ scella sa lettre avec le sceau d’ivoire, et la fit partir pour la ville de Takchaçilâ.

Cependant le roi vit en songe ses dents tomber. Aussitôt que le jour fut venu, il appela les devins et leur dit : Qu’annoncent les songes que je viens d’avoir ? roi, répondirent les devins, celui qui a de tels songes, celui qui voit pendant son sommeil ses dents tomber et se détruire, verra son fils privé de ses yeux et apprendra sa mort. À ces mots, le roi Açôka se levant en toute hâte de son siége, et dirigeant ses mains réunies en signe de respect vers les quatre côtés de l’horizon, se mit à supplier la Divinité, et il prononça cette stance :

Que la Divinité qui est bienveillante pour le Précepteur, pour la Loi et pour l’Assemblée qui est la première des troupes, que les Rĭchis qui sont les premiers dans le monde protégent notre fils Kunâla !

Pendant ce temps, la lettre de la reine parvint à Takchaçilâ. À la vue de cette missive, les habitants de Takchaçilâ, ceux de la ville et de la campagne, qui étaient heureux des nombreuses vertus de Kunâla, n’eurent pas le courage de lui faire connaître l’ordre inhumain qu’elle contenait ; mais après avoir longtemps réfléchi, ils se dirent : Le roi est violent, il est naturellement emporté ; s’il ne pardonne pas à son fils, à plus forte raison ne nous épargnera-t-il pas. Et ils prononcèrent cette stance :

Celui qui a pu concevoir de la haine contre un prince si calme, dont les mœurs sont celles d’un solitaire et qui ne désire que le bien de tous les êtres, comment sera-t-il pour les autres ?

Enfin, ils se décidèrent à informer Kunâla de cette nouvelle, et à lui remettre la lettre. Kunâla l’ayant lue, s’écria : L’ordre est digne de confiance ; faites ce qui vous est commandé. On fit donc venir des Tchândâlas, et on leur donna l’ordre d’arracher les yeux à Kunâla ; mais les bourreaux, réunissant leurs mains en signe de respect, s’écrièrent : Nous n’en avons pas le courage. Et pourquoi ?

C’est que l’insensé qui serait capable d’enlever son éclat à la lune pourrait seul arracher les yeux de ton visage, qui ressemble à l’astre de la nuit.