Page:Burnouf - Introduction à l’histoire du bouddhisme indien.djvu/403

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
361
DU BUDDHISME INDIEN.


Un jour Tichyarakchitâ, la première des femmes d’Açôkâ, passa par cet endroit, et vit Kunâla qui était seul. Séduite par la beauté de ses yeux, elle le serra entre ses bras et lui dit :

« À la vue de ton regard ravissant, de ton beau corps et de tes yeux charmants, tout mon corps brûle comme la paille desséchée que consume l’incendie d’une forêt.

À ces mots, Kunâla se couvrant les oreilles de ses deux mains, lui répondit : Ne prononce pas d’aussi coupables paroles devant un fils, car tu es pour moi comme une mère ; renonce à une passion déréglée ; cet amour serait pour toi le chemin de l’Enfer. Mais Tichya rakchitâ, voyant qu’elle ne pouvait le séduire, lui dit en colère : Puisque tu me repousses ici, au moment où, transportée d’amour, je viens m’offrir à toi, dans peu de temps, insensé, tu auras cessé de vivre. Ô ma mère, répondit Kunâla, plutôt mourir en persistant dans le devoir et en restant pur ; je n’ai que faire d’une vie qui serait pour les gens de bien un objet de blâme, d’une vie qui, en me fermant la voie du Ciel, deviendrait la cause de ma mort, et serait méprisée et condamnée par les sages. Dès ce moment, Tichya rakchitâ ne songea plus qu’à trouver l’occasion de nuire à Kunâla.

Il arriva que la ville de Takchaçilâ, qui était située dans le Nord, et qui obéissait au roi Açôka, vint à se révolter. À cette nouvelle, le roi voulut s’y rendre lui-même ; mais ses ministres lui dirent : Ô roi, envoies-y le prince ; il fera rentrer la ville dans le devoir. En conséquence, le roi ayant appelé Kunâla, lui parla ainsi : Mon cher fils, rends-toi à Takchaçilâ, et soumets cette ville. Oui, seigneur, j’irai, répondit Kunâla. [C’est ce qu’exprime cette stance :]

Le roi ayant appris par là quel était le désir de celui qu’il appelait son fils, et sachant en son cœur ce qu’il pouvait attendre de son affection, renonça lui-même au voyage et y destina Kunâla.

Açôka ayant fait orner la ville et la route, et en ayant fait éloigner les vieillards, les malades et les indigents, monta dans un char avec son fils, et sortit de Pâṭaliputtra. Au moment de quitter son fils pour revenir sur ses pas, il jeta ses bras autour de son cou, et contemplant ses yeux, il lui dit en fondant en larmes : Ils sont fortunés les yeux, et ils ont une vue heureuse les mortels qui pourront voir constamment le lotus de la face du prince. Mais un Brâhmane astrologue prédit que dans peu Kunâla perdrait la vue. Aussi le roi Açôka, ne pouvant se lasser de contempler les yeux de son fils, s’écria, quand il les eut regardés :

Les yeux du prince sont parfaits, et le roi éprouve pour lui un attachement