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DU BUDDHISME INDIEN.

d’abandonner l’Ârya Sam̃gha rakchita. Le respectable Sam̃gha rakchitâ ayant entendu ces paroles, leur dit : Amis, que dites-vous là ? Ô Sam̃gha rakchita l’Ârya, répondirent les marchands, une voix est sortie du milieu de l’Océan qui a dit : Livrez-nous l’Ârya Sam̃gha rakchita. Pourquoi donc ne le livrez-vous pas ? dit l’Ârya. C’est que, reprirent les marchands, tu as notre âge, tu es né en même temps que nous, tu as joué avec nous dans la poussière, tu nous as été confié par le respectable Çâriputtra et cédé par Bhagavat. Il vaudrait mieux pour nous périr avec toi que de t’abandonner.

Le respectable Sam̃gha rakchita fit la réflexion suivante : Voici l’accomplissement des paroles que m’a dites Bhagavat : Il faudra que tu traverses des dangers et des conjonctures redoutables. Ayant donc pris son vase à aumônes et son vêtement, il se mit en devoir de se jeter dans le grand Océan. Il fut aperçu par les marchands, qui s’écrièrent : Que fais-tu, ô Sam̃gha rakchita l’Ârya ? que vas-tu faire ? Mais pendant qu’ils criaient, l’Ârya était déjà tombé dans le grand Océan.

Aussitôt le vaisseau fut délivré, et l’Ârya pris par les Nâgas fut conduit par eux dans leur palais. Ô Sam̃gha rakchita, lui dirent-ils, voici la salle des parfums[1] du Buddha parfaitement accompli Vipaçyin ; voici celle de Çikin, celle de Viçvabhû, celle de Krakutchhanda, celle de Kanakamuni, celle de Kâçyapa ; voici celle de Bhagavat. Ô Sam̃gha rakchita l’Ârya, le Sûtra et la Mâtrĭkâ de Bhagavat sont placés chez les Dêvas et chez les hommes[2] ; mais nous qui ne sommes que des Nâgas, nous avons des corps déchus. Puisse donc l’Ârya Sam̃gha rakchita établir ici aussi les quatre recueils de commandements (Âgama) ! Qu’il soit ainsi, répondit l’Ârya.

En conséquence il fit choix de trois Nâga kumâras (princes des Nâgas) ; à l’un il dit : Toi, lis la Collection abrégée ; au second : Toi, lis la Collection moyenne ; au troisième : Toi, lis la longue Collection. Un autre [Bhadra mukha] dit à son tour[3] : Quant à moi, je vais éclaircir la Collection supplémentaire dont la forme est pure. Les Nâgas commencèrent donc à étudier. Le premier reçut l’enseignement les yeux fermés ; le second le reçut le dos tourné ; le troisième le

  1. C’est-à-dire la salle où l’on brûle des parfums en l’honneur d’un Buddha et devant son image. Voyez ci-dessus, p. 234, note 1.
  2. Ce passage me paraît prouver que la Mâtrĭkâ répond à l’Abhidarma ou à la métaphysique ; car les Buddhistes de Ceylan croient que l’Abhidharma a été révélé pour les Dieux, et le Sûtra pour les hommes.
  3. Le texte dit simplement sa kathayati, « il dit, » ce qui semble se rapporter à Sam̃gha rakchita ; c’est ainsi que je l’avais entendu à une première lecture, et que je l’avais traduit en parlant des Âgamas (ci-dessus, sect. I, p. 43). Mais la suite du texte me paraît prouver qu’il s’agit d’un autre Nâga dont l’intervention est nécessaire pour l’intelligence du morceau, et qui est nommé un peu plus bas Bhadra mukha. Rien au reste n’est plus confus ni plus imparfait que