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DU BOUDDHISME INDIEN.

ce trois états auxquels le Religieux seul peut s’élever par des efforts de vertu et d’intelligence ?

Le quatrième degré ou celui d’Arhat ne donne pas lieu à la question que je viens de signaler ; le texte cité plus haut ne laisse à cet égard aucun doute, puisqu’il dit en termes positifs que c’est seulement après avoir adopté la vie religieuse qu’on peut, à l’aide d’une science supérieure, devenir un Arhat. L’Arhat ou le Vénérable est, sous le rapport des connaissances, parvenu au degré le plus élevé parmi les Religieux ; et les Sûtras ainsi que les Avadânas lui attribuent des facultés surnaturelles, c’est-à-dire les cinq Abhidjñâs ou connaissances supérieures, qui sont : le pouvoir de prendre la forme qu’on désire, la faculté d’entendre tous les sons, quelque faibles qu’ils soient, la connaissance des pensées d’autrui, celle des existences passées de tous les êtres, enfin la faculté de voir les objets à quelque distance que ce soit[1]. La note de M. Rémusat citée plus haut nous apprend que l’Arhat doit encore traverser vingt mille Kalpas, après quoi il obtiendra la science suprême[2]. Du reste, c’est, comme d’après les textes du Népâl, par l’anéantissement de toutes les corruptions du mal, qu’on arrive, suivant l’auteur chinois, au rang d’Arhat ; et il faut probablement chercher dans cette circonstance la cause de la fausse étymologie du nom d’Arhat que proposent les Buddhistes de toutes les écoles, ceux du Nord comme ceux du Sud, et qui consiste à regarder Arhat comme synonyme de Arîṇâm hattâ (pâli), « le vainqueur des ennemis. » Nous avons déjà, M. Lassen et moi, signalé cette interprétation erronée[3], et j’ajoute ici que sa présence chez les Buddhistes de tous les pays prouve qu’elle vient d’une source unique et très-certainement ancienne. Les Djâinas, qui sont dans l’Inde les véritables héritiers des Buddhistes, ne paraissent pas être tombés dans la même erreur, si toutefois nous devons nous en rapporter au témoignage du Vichṇu purâṇa, qui dérive bien le mot Arhat de arh, « mériter, être digne[4]. »

Quelque élevées que soient les connaissances d’un Arhat, il n’est pas encore parvenu à ce que les Sûtras et les légendes appellent la Bôdhi ou l’Intelligence

  1. Clough, Singh. Dict., t. II, p. 39, col. 2.
  2. A. Rémusat, Foe koue ki, p. 95.
  3. Essai sur le pâli, p. 203. Les Tibétains ne traduisent pas autrement ce terme.
  4. Wilson, Vichṇu purâṇ., p. 339. Bohlen a ingénieusement rapproché du mot Arhat les Aritoniens cités par Nicolas de Damas. (Das alte Indien, t. I, p. 320.) Quelle que soit la valeur de ce rapprochement, on peut admettre avec Lassen que les Arhats ont été connus des Grecs. Les Σεμνοί ou vénérables, qui, suivant Clément d’Alexandrie, rendaient un culte à une pyramide élevée au-dessus des reliques d’un Dieu, sont les Arhats, dont le nom a été traduit de cette manière par les Grecs. (Lassen, De nom. Ind. philosoph., dans Rhein. Museum, t. I, p. 187 et 188.) On peut ajouter que Clément parle aussi des Σεμναί ou des femmes vénérables ; ce sont très-probablement les Bhikchuṇîs de nos textes. (Stromat., p. 539, Potter.)