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INTRODUCTION À L’HISTOIRE


les autres religieux le privilége d’enseigner la Loi, sont bien en réalité, pour les Singhalais comme pour les Tibétains, des espèces de vicaires, qui remplacent aujourd’hui Çâkya leur maître, comme ils le remplaçaient quelquefois pendant sa vie.

Le mérite servait aussi à marquer les rangs ; et je pense même qu’il devait se joindre au privilége de l’ancienneté, pour assurer à un Religieux une supériorité incontestable. Nous avons vu, dans la légende de Pûrna, une preuve qu’un Religieux peut, par ses qualités personnelles, s’élever à un rang plus élevé que celui qu’il tient de l’âge. Il est bon toutefois de remarquer qu’il s’agit là de puissance surnaturelle, d’où il résulte que le principe de l’ancienneté devait être en général supérieur à celui du mérite, puisqu’il ne cédait que devant des (acuités surhumaines On ne peut croire cependant que le savoir et la vertu n’aient pu quelquefois servir à marquer les rangs, surtout dans les premiers temps du Buddhisme. Il est certain, d’après les légendes, que l’enseignement de Çâkya agissait d’une manière plus ou moins rapide, selon que ceux qui le recevaient y étaient plus ou moins préparés ; de sorte qu’un Religieux pouvait acquérir en peu de temps une science plus profonde et une sainteté plus parfaite que tel autre d’entre ceux qui l’avaient depuis longtemps précédé dans l’Assemblée. La connaissance des vérités enseignées par Çâkya avait d’ailleurs ses degrés, et sans doute que celui qui les avait franchis tous était regardé comme supérieur à celui qui s’était arrêté dans sa marche. Ces divers degrés reviennent si souvent dans nos légendes, que je crois nécessaire de citer un texte où ils se trouvent indiqués suivant leur position relative. Ce texte aura l’avantage de présenter en raccourci l’ensemble de ce que les Avadânas nous apprennent touchant les distinctions établies entre les Auditeurs de Çâkya d’après le mérite et la science.

« Bhagavat connaissant l’esprit, les dispositions, le caractère et le naturel des mariniers qui l’écoutaient, leur exposa l’enseignement de la Loi, destiné à leur faire pénétrer les quatre vérités sublimes, de telle manière qu’après l’avoir entendu, les uns obtinrent les fruits de l’état de Çrôta âpanna, les autres ceux de l’état de Sakrĭd âgâmin, d’autres encore ceux de l’état d’Anâgâmin. Quelques-uns ayant embrassé la vie religieuse parvinrent, par l’anéantissement de toutes les corruptions du mal, à voir face à face l’état d’Arhat. Ceux-ci comprirent ce que c’est que l’Intelligence (Bôdhi), à laquelle parviennent les Çrâvakas ; ceux-là comprirent ce qu’est celle des Pratyeka Buddhas, d’autres ce qu’est celle d’un Buddha parfaitement accompli. Enfin la réunion tout entière fut absorbée dans le Buddha, plongée dans la Loi, entraînée dans l’Assemblée[1]. »

  1. Avad. çat., f. 26 b, Pûrṇa, dans Divya avad., f. 24 b. Sumâgadhâ avad., f. 18 a.