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DU BUDDHISME INDIEN.

chandises, ils partirent pour le grand Océan. Pûrṇa dit alors : Ô mon père, je désire aussi aller sur le grand Océan ! Mais Bhava lui répondit : Tu n’es encore qu’un enfant, ô mon fils ; reste ici ; occupe-toi des affaires de la boutique. Pûrṇa resta donc à la maison.

Cependant ses frères revinrent, ramenant leur vaisseau sain et sauf. Après s’être reposés des fatigues du voyage, ils dirent à Bhava : Évalue, cher père, nos marchandises. Le père fit l’évaluation, et il se trouva qu’il revenait à chacun un Lak de Suvarṇas. Pûrṇa avait aussi conduit les affaires de la maison avec ordre et probité ; aussi, avait-il amassé plus d’un Lak de Suvarṇas. S’étant donc prosterné aux pieds de son père, il lui dit : Évalue, ô mon père, le montant de ce que j’ai gagné dans la boutique. Bhava répondit : Tu es resté ici, mon enfant ; qu’y a-t-il à évaluer pour toi ? Pûrṇa répondit : Évalue toujours, ô mon père ; on saura ainsi ce qui en est. Le père fit l’évaluation ; et outre les valeurs en Suvarṇas, produit du gain ordinaire, on trouva encore au delà d’un Lak. Bhava le maître de maison, plein de satisfaction et de joie, se mit à réfléchir : Il est vertueux, se dit-il, et possède la grandeur[1], l’être qui, sans être sorti d’ici, a gagné autant d’or.

Cependant il arriva un temps où Bhava vint à s’affaiblir ; il fit alors cette réflexion ; Quand je serai mort, mes enfants vont se diviser ; il faut trouver quelque moyen [pour empêcher leur désunion]. Il leur dit donc : Mes enfants, apportez du bois. Quand le bois fut apporté : Mettez-y le feu, leur dit-il ; et ils l’y mirent. Bhava leur dit alors : Que chacun de vous retire les tisons ; ils les retirèrent tous, et le feu s’éteignit. Bhava leur dit ensuite : Avez-vous compris, mes enfants ? — Oui, cher père, nous avons compris. Bhava récita aussitôt la stance suivante :

C’est réunis que les charbons brûlent ; de même l’union des frères fait leur force ; et comme les charbons aussi, c’est en se séparant que les hommes s’éteignent.

  1. L’expression dont se sert ici le texte est, autant que je le puis croire, spécialement propre au sanscrit buddhique. C’est puṇya mahêçâkhya, terme formé de la réunion de puṇya et de mahêçûkhya, qui se rencontre souvent seul, et qui est l’opposé d’alpêçâkhya. Ce dernier terme est expliqué de la manière suivante dans le commentaire de l’Abhidharma kôça : Alpêçâkhya anudarô hînadjâlîya ity arthah ; ichṭa itîçah ; alpa îçô alpêçah ; alpêça ity âkhyâ yasya, sô ’tpêçâkhyah, viparyayât mahêçûkhyaḥ. (F. 202 b de mon manuscrit.) C’est-à-dire : « Alpêçâkhya signifie qui n’est pas noble, qui est d’une basse extraction ; îça est synonyme de ichṭa (désiré) ; réuni à l’adjectif alpa, il signifie peu désiré, et avec âkhyâ (nom) il forme le composé alpêçâkhya, c’est-à-dire celui dont le nom est peu désiré. On dit dans le sens contraire mahêçâkhya, ou celui dont le nom est grandement désiré. » On arriverait peut-être plus directement et plus vite au véritable sens, en conservant à îça le sens de maître, et en expliquant ainsi ces deux mots : « celui qui a le nom d’un maître de peu, ou d’un grand maître. »