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INTRODUCTION À L’HISTOIRE


traité ressemble beaucoup plus à un Sûtra développé qu’à une légende ordinaire. J’inclinerais donc à croire qu’il n’appartient pas, en entier du moins, à la prédication de Çâkyamuni, mais qu’il est du nombre de ces livres qui ont été rédigés dans le repos du cloître, au temps où les Buddhistes jouissaient d’assez de loisir pour rassembler et commenter leurs traditions religieuses.

Quoi qu’il puisse être de ces observations, je n’en crois pas moins notre légende antérieure au Vadjraçutchi, traité de pure polémique, dirigé contre l’institution des castes et composé par un savant Buddhiste, nommé Açvaghôcha. On doit à MM. Wilkinson et Hodgson la publication et la traduction du texte de ce petit livre, auquel est jointe une défense des castes par un Brâhmane qui vivait encore en 1839[1]. Açvaghôcha est-il le célèbre Religieux dont le nom est traduit en chinois par Ma ming (voix de cheval), et qui, suivant la liste de l’Encyclopédie japonaise, fut le douzième patriarche buddhiste depuis la mort de Çâkyamuni[2] ? ou bien n’est-ce qu’un ascète plus moderne qui porte le même nom que lui ? C’est ce que je ne saurais décider. Tout ce que nous en apprend M. Hodgson, c’est qu’il est cité au Népâl comme un Mahâ paṇḍita, et qu’il est l’auteur de deux ouvrages fort estimés, le Buddha tcharîta kâvya, et le Nandimukha sughôcha avadâna[3]. Il nous suffit que le traité de polémique dont on le dit l’auteur soit attribué à un Religieux connu, pour qu’il sorte de la catégorie des livres canoniques, auxquels appartient la légende analysée plus haut, et pour qu’il se place dans la classe des ouvrages portant des noms d’auteurs, classe plus moderne en général que celle des traités qu’on suppose émanés de la prédication même de Çâkya. À ce titre j’aurais pu me dispenser d’en parler ici, puisque je dois m’occuper plus tard des traités dont les auteurs sont connus. J’ai cru cependant que l’avantage de faire embrasser d’un coup d’œil ce que l’on sait des objections que les Buddhistes adressent aux Brâhmanes contre le système des castes compensait le défaut d’ordre, assez peu grave en réalité, que je me permets ici.

Les objections d’Açvaghôcha sont de deux sortes : les unes sont empruntées

  1. The Wujra soochi or Refutation of the arguments upon which the Brahmanical institution of caste is founded, by the learned Boodhist Ashwa Ghochu ; also the Tunku by Soobojee Bapoo being a Reply to the Wujra soochi, 1839, in-8° imprimé dans l’Inde, mais sans nom de lieu. La traduction et l’avertissement occupent 100 pages ; le texte, lithographié en assez gros caractères dêvanâgaris, en a 60. La traduction du Traité d’Açvaghôcha avait déjà paru dans le t. III des Trans. of the Roy. Asiat. Soc., p. 160. L’emploi du mot Vadjra me donne à penser que ce traité est moderne.
  2. A. Rémusat, Mél. asiat., t. I, p. 120 sqq. Tout ce qui a été dit dans l’Essai sur le pâli (p. 55) de l’identité possible du nom chinois Ma ming avec le nom singhalais du prince Mahindu Kumâra, ne peut plus subsister aujourd’hui, qu’on sait si positivement que le mot de Bôdhisattva est non pas un nom propre, mais le titre d’un Buddha vivant.
  3. Transact. of the Roy. Asiat. Soc., t. III, p. 161, et Wujra soochi, p. 6, note.