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INTRODUCTION À L’HISTOIRE


il accorda au Religieux ce qu’il lui demandait[1]. » Ce respect de Çâkya pour la puissance royale a même laissé sa trace dans le Buddhisme moderne ; et c’est une des règles fondamentales de l’ordination d’un Religieux, qu’il réponde par la négative à cette question : « Es-tu au service du roi[2] ? » Dans une autre légende on voit le roi Prasênadjit du Kôçala, qui envoie à Râdjagriha un messager, pour inviter Bhagavat à venir au milieu de son peuple, à Çrâvastî. Voici la réponse que Çâkyamuni fait à l’envoyé : « Si le roi Bimbisâra me le permet, je me rendrai auprès de Prasênadjit[3]. »

Çâkya admettait donc la hiérarchie des castes ; il l’expliquait même, comme faisaient les Brâhmanes, par la théorie des peines et des récompenses ; et chaque fois qu’il instruisait un homme d’une condition vile, il ne manquait pas d’attribuer la bassesse de sa naissance aux actions coupables que cet homme avait commises dans une vie antérieure. Convertir un homme, quel qu’il fût, c’était donc pour Çâkya lui donner le moyen d’échapper à la loi de la transmigration ; c’était le relever du vice de sa naissance, absolument et relativement : absolument, en le mettant sur la voie d’atteindre un jour à l’anéantissement définitif, où, comme le disent les textes, cesse la loi de la renaissance ; relativement, en en faisant un Religieux, comme Çâkyamuni lui-même, qui venait prendre rang, suivant son âge, dans l’assemblée des Auditeurs du Buddha. Çâkya ouvrait donc indistinctement à toutes les castes la voie du salut, que la naissance fermait auparavant au plus grand nombre ; et il les rendait égales entre elles et devant lui, en leur conférant l’investiture avec le rang de Religieux. Sous ce dernier rapport il allait plus loin que les philosophes Kapila et Patañdjali, qui avaient commencé une œuvre à peu près semblable à celle qu’accomplirent plus tard les Buddhistes. En attaquant comme inutiles les œuvres ordonnées par le Vêda, et en leur substituant la pratique d’un ascétisme tout individuel, Kapila avait mis à la portée de tous, en principe du moins, sinon en réalité, le titre d’ascète, qui jusqu’alors était le complément et le privilége à peu près exclusif de la vie de Brâhmane. Çâkya fit plus : il sut donner à des philosophes isolés l’organisation d’un corps religieux. Là se trouve l’explication de ces deux faits, la facilité avec laquelle a dû dans le principe se propager le Buddhisme, et l’opposition que le Brâhmanisme a naturellement faite à ses progrès. Les Brâhmanes n’avaient pas d’objection à lui adresser, tant qu’il se bornait à travailler en philosophe à la délivrance future de l’homme, à lui assurer l’affranchissement que je nommais tout à l’heure absolu. Mais ils ne pouvaient

  1. Avadâna çataka, f. 42 b.
  2. Kammavâkya, p. 6 et 17, éd. Spiegel.
  3. Avadâna çataka, f. 135 a.