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INTRODUCTION À L’HISTOIRE


Comment celui qui mange du chien, comme toi, ose-t-il parler ainsi à un Brâhmane qui a lu le Vêda ? Insensé ! tu ne connais pas Prakrĭti, et tu as de toi-même une bien haute opinion ! Ne reste pas plus longtemps ici, si tu ne veux t’attirer malheur. Tu n’es qu’un Tchâṇḍâla, et moi je suis de la caste des Dvidjas. Comment oses-tu, misérable, demander l’union du plus noble avec l’être le plus vil ? Les bons, en ce monde, s’unissent avec les bons, les Brâhmanes avec les Brâhmanes. Tu demandes une chose impossible en voulant t’allier avec nous, toi qui es méprisé dans le monde, toi le dernier des hommes. Les Tchâṇḍâlas s’unissent ici-bas avec les Tchâṇḍâlas, les Puchkasas avec les Puchkasas, et ainsi font les Brâhmanes, les Kchattriyas, les Vâiçyas et les Çûdras, chacun dans leur caste ; mais nulle part on ne voit les Brâhmanes s’allier aux Tchâṇḍâlas. » À ce discours, qui dans l’original est en vers, et que j’ai un peu abrégé, Triçangku répondit ainsi : « Il n’y a pas entre un Brâhmane et un homme d’une autre caste la différence qui existe entre la pierre et l’or, entre les ténèbres et la lumière. Le Brâhmane en effet n’est sorti ni de l’éther ni du vent ; il n’a pas fendu la terre pour paraître au jour, comme le feu qui s’échappe du bois de l’Araṇi[1]. Le Brâhmane est né d’une matrice de femme, tout comme le Tchâṇḍâla. Où vois-tu donc la cause qui ferait que l’un doit être noble et l’autre vil ? Le Brâhmane lui-même, quand il est mort, est abandonné comme un objet vil et impur ; il en est de lui comme des autres castes : où est alors la différence ? » Triçangku continue ensuite, en reprochant aux Brâhmanes leurs vices et leurs passions ; il blâme avec force les moyens qu’ils emploient pour les satisfaire, et entre autres l’hypocrisie avec laquelle ils osent se prétendre purs, en commettant les actions les plus noires. « Quand ils veulent manger de la viande, voici le moyen qu’ils emploient : ils tuent les animaux en prononçant des Mantras, parce que, disent-ils, les brebis ainsi immolées vont droit au ciel. Mais si c’est là le chemin du ciel, pourquoi donc ces Brâhmanes n’immolent-ils pas aussi avec des Mantras eux et leurs femmes, leurs père et leur mère, leurs frères et leurs sœurs, leurs fils et leurs filles[2] ? Non, il n’est pas vrai que l’eau lustrale et que les Mantras fassent monter au ciel les chèvres et les brebis ; toutes ces inventions sont des moyens employés par ces méchants Brâhmanes pour satisfaire leur désir de manger de la viande[3]. »

  1. Premna spinosa.
  2. Cet argument paraît familier aux adversaires des Brâhmanes, car on le trouve rapporté par le Vichṇu purâṇa, au chapitre relatif à l’hérésie des Djâinas. (Wilson, Vichṇu pur., p. 340.)
  3. Divya avadâna, f. 122 b.