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DU BUDDHISME INDIEN.


adressaient à Çâkya nous apprennent à la fois et comment ce dernier se conduisait en présence du principe absolu des castes, et comment ses adversaires accueillaient ses usurpations. Cette double instruction se trouve, sous une forme parfaitement claire, dans une légende que je vais analyser et dont je traduirai les parties les plus caractéristiques.

Un jour Ânanda, le serviteur de Çâkyamuni, après avoir longtemps parcouru la campagne, rencontre une jeune fille Mâtangî, c’est-à-dire de la tribu des Tchâṇḍâlas, qui puisait de l’eau, et il lui demande à boire. Mais la jeune fille, craignant de le souiller de son contact, l’avertit qu’elle est née dans la caste Mâtanga, et qu’il ne lui est pas permis d’approcher un Religieux. Ânanda lui répond alors : « Je ne te demande, ma sœur, ni ta caste ni ta famille ; je te demande seulement de l’eau, si tu peux m’en donner[1]. » Prakrĭti, c’est le nom de la jeune fille, qui suivant la légende était destinée à se convertir à la doctrine du Buddha, se sent aussitôt éprise d’amour pour Ânanda, et elle déclare à sa mère le désir qu’elle a de devenir sa femme. La mère, qui prévoit l’obstacle que doit mettre à cette union la différence des castes (car Ânanda était de la race militaire des Çâkyas et cousin du Buddha), la mère, dis-je, a recours à la magie pour attirer le Religieux dans sa maison, où l’attend Prakrĭti parée de ses plus beaux habits. Ânanda, entraîné par la force des charmes que la Mâtangî met en usage, se rend en effet dans cette maison ; mais reconnaissant le danger qui le menace, il se rappelle Bhagavat et l’invoque en pleurant. Aussitôt le Buddha, dont la science est irrésistible, détruit par des charmes contraires les charmes de la Tchâṇḍâlî, et Ânanda sort librement des mains des deux femmes. Prakrĭti toutefois ne se décourage pas ; elle pense à s’adresser à Çâkyamuni lui-même, et va l’attendre sous un arbre, près d’une des portes de la ville par laquelle il doit sortir après avoir mendié pour obtenir son repas. Çâkyamuni se présente en effet, et il apprend de la bouche de la jeune fille l’amour qu’elle ressent pour Ânanda et la détermination où elle est de le suivre. Profitant de cette passion pour convertir Prakrĭti, le Buddha, par une suite de questions que Prakrĭti peut prendre dans le sens de son amour, mais qu’il fait sciemment dans un sens tout religieux, finit par ouvrir à la lumière les yeux de la jeune fille et par lui inspirer le désir d’embrasser la vie ascétique. C’est ainsi qu’il lui demande si elle consent à suivre Ânanda, c’est-à-dire à l’imiter dans sa conduite ; si elle veut porter les mêmes vêtements que lui, c’est-à-dire le vêtement des personnes religieuses ; si elle est autorisée par ses parents : questions que la loi de la Discipline exige qu’on adresse à ceux

  1. Çârdûla karṇa, dans Divya avadâna, f. 217 a.