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INTRODUCTION À L’HISTOIRE

du tort qu’il leur faisait depuis qu’il avait embrassé la vie religieuse. Une autre légende, celle de Dharma rutchi, reproduit ces plaintes ; mais elle en reporte le sujet et les auteurs à une époque toute mythologique, sous Kchêmam̃kara, l’un, l’un des Buddhas fabuleux antérieurs à Çâkyâmuni. Un marchand, qui avait amassé de vastes richesses dans un voyage sur mer, voulut agrandir et orner le Stupa, ou le monument de ce Buddha. « Mais les Brahmanes qui habitaient la ville, s’étant tous réunis, se rendirent auprès du grand marchand et lui dirent : Tu sais, marchand, qu’au temps où le Buddha Kchêmam̃kara, n’avait pas encore paru dans le monde, nous étions alors pour le peuple un objet de respect, et que quand il fut né, c’est lui qui obtint les hommages de la multitude. Aujourd’hui qu’il est entré dans l’anéantissement complet, c’est à nous que le monde doit ses respects ; cet or nous revient donc de droit[1]. »

De telles paroles ont dû être prononcées depuis la mort de Çâkyamuni ; et c’est parce qu’elles l’ont été en effet que la légende les rapporte, en les plaçant dans un passé antérieur aux temps historiques. Elles n’en montrent pas moins, selon nous, un des points de vue sous lesquels les ascètes de tous les ordres envisageaient l’apparition et le développement de la secte nouvelle, qui venait leur disputer les avantages matériels d’une profession si lucrative dans l’Inde. Un autre reproche plus grave, sans doute parce qu’il venait des classes les plus respectables de la société, c’était le blâme avec lequel on accueillait la plupart des conversions opérées par Çâkyamuni. On lui reprochait d’admettre parmi ses disciples des hommes repoussés de tous pour leurs crimes ou pour leur misère. Mais je dois me contenter d’indiquer ici ce genre de blâme ; j’aurai occasion d’en parler tout à l’heure en détail, quand j’examinerai la nature des conversions opérées par Çâkya et l’effet produit par ces conversions mêmes.

Si les objections que, suivant les Sûtras, les Brahmanes opposaient à Çâkya et à ses disciples n’étaient pas très-philosophiques, la lutte qu’ils soutenaient contre lui ne l’était pas davantage ; car les légendes nous les montrent disputant avec lui à qui opérerait les miracles les plus convaincants. Je crois nécessaire de traduire, pour la plus grande partie, un Sûtra relatif à ce sujet, qui fera comprendre, mieux que tout ce que je pourrais dire, sur quel terrain les Brahmanes, suivant la tradition buddhique, luttaient avec Çâkyamuni et avec ses premiers sectateurs.

« En ce temps-là résidaient dans la ville de Râdjagrĭha six maîtres qui ne savaient pas tout, mais qui s’imaginaient tout savoir ; c’étaient : Pûraṇa Kâçyapa,

  1. Dharma rutchi, dans Divya avadâna, f. 120 a et b.