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INTRODUCTION À L’HISTOIRE

laquelle aspire l’ascète buddhiste ne doit pas l’élever seul, et c’est pour en faire partager le bienfait aux autres hommes qu’il la recherche au milieu des plus difficiles épreuves. Les Sûtra et les légendes nous offrent plus d’un exemple de cette tendance des conversions buddhiques, tendance qui place presque sur le même rang, sauf le but, les sectateurs de Buddha et les adorateurs de Brahmâ. Quand Açôka mourant laisse l’empire de la terre, dont il se croyait le maître, à l’Assemblée des Religieux du Buddha, il s’écrie qu’il n’accomplit pas cet acte de générosité pour en recueillir le fruit, soit dans le ciel d’Indra, soit dans le monde de Brahmâ, mais pour obtenir la récompense que mérite sa foi en Bhagavat[1]. Un jeune Brâhmane, qui s’est retiré au fond d’une forêt, pour se livrer, dans l’intérêt des êtres vivants, à une pénitence extraordinaire, donne son corps en pâture à une tigresse affamée, qui venait de mettre bas. Au moment de consommer ce sacrifice héroïque, il s’écrie : « Comme il est vrai que je n’abandonne la vie, ni pour la royauté, ni pour les jouissances du plaisir, ni pour le rang de Çakra, ni pour celui de monarque souverain, mais bien pour arriver à l’état suprême de Buddha parfaitement accompli[2]. » On trouve dans un autre Sûtra, celui de Tchandra prabha, une allusion à une légende semblable, celle de la femelle du tigre, dont on doit une double traduction à M. Schmidt, exécutée d’après deux ouvrages mongols, l’Uligerün dalai et l’Altan gerel[3]. Dans ce même Sûtra, le roi, au moment d’abandonner la vie, prend les Dieux à témoin qu’il accomplit un aussi grand sacrifice, non pas pour obtenir les récompenses qu’on en attend d’ordinaire, récompenses qui sont l’état de Brahmâ, celui de Çakra, ou celui de monarque souverain, mais pour devenir un jour un Buddha parfait.

Ici, comme dans bien d’autres textes, se montrent à la fois la ressemblance et la différence du Buddhisme comparé au Brâhmanisme. La croyance à la sainteté du suicide en vue d’un but religieux est la même de part et d’autre, parce qu’elle repose sur cette antique sentence de réprobation, portée contre le corps par l’ascétisme oriental. Et dans le fait, si la vie est un état de douleur et de péché, si le corps est une prison où l’âme languit captive et misérable, quel meilleur usage peut-on en faire que de s’en débarrasser soi-même ? Et avec quelle ardeur l’ascète ne doit-il pas se porter à ce sacrifice, s’il croit se rapprocher ainsi plus vite du but élevé promis à ses efforts ! C’est là, on n’en peut

  1. Açôka, dans Divya avad., f. 211 a.
  2. Rûpavalî, dans Divya avad., f. 115 b.
  3. Mongol. Gramm., p. 192 sqq. Le récit de l’Uligerün dalai se trouve naturellement reproduit dans la traduction allemande du recueil original tibétain publié par M. Schmidt. (Der Weite und der Thor, p. 21 sqq.)