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INTRODUCTION À L’HISTOIRE


par en bas. La reine fit présenter au ver du poivre pilé, et il n’en mourut pas ; elle lui fit donner de même sans succès du poivre long et du gingembre. Enfin on le toucha avec de l’oignon ; aussitôt le ver mourut, et il descendit par les voies inférieures. La reine alors alla dire au roi : Seigneur, mange de l’oignon, et tu seras rétabli. — Reine, lui répondit le roi, je suis un Kchattriya, comment pourrais-je manger de l’oignon ? — Seigneur, reprit la reine, c’est comme médicament que tu dois prendre cette substance afin de sauver ta vie. Le roi mangea de l’oignon, et le ver mourut, et il sortit par les voies inférieures[1]. »

Je n’ai pas besoin de faire remarquer que le scrupule qui empêchait le roi Açôka de manger de l’oignon, quoique dominant aussi chez les Buddhistes, a sa source dans la défense brâhmanique formulée par la loi de Manu[2]. Mais il est important de noter que le fait raconté tout à l’heure se passe, d’après la légende, à une époque où le roi Açôka était déjà entièrement converti au Buddhisme ; et cependant le préjugé fondé sur l’existence de la caste exerçait encore sur son esprit un aussi puissant empire !

Les passages que je viens de rapporter suffisent pour faire connaître la véritable position des deux premières classes, celle des Brâhmanes et celle des Kchattriyas, dans la société indienne. D’autres textes fixent, avec une précision à peu près égale, la position des castes inférieures, que l’on voit livrées au commerce, à l’agriculture et enfin aux professions serviles. Je ne m’arrêterai pas à rapporter ici les noms de toutes les castes citées dans les Sûtras ; l’organisation politique de la société indienne, au temps de Çâkyamuni, est suffisamment déterminée par les noms de celles qui ont paru dans les passages cités plus haut. Je me contente de rappeler ici, d’après les Sûtras, le double principe sur lequel reposaient l’existence et la perpétuité des castes. Le premier de ces principes était l’obligation où chacun se trouvait de ne se marier qu’avec une femme de sa propre classe. Cette règle était si universellement admise au temps de la prédication de Çâkya, qu’on la voit appliquée à chaque instant dans les Sûtras et dans les légendes du Divya avadâna. Toutes les fois qu’il est question d’un mariage, le texte ajoute la formule ordinaire : « Il prit une femme dans une famille égale à la sienne[3]. » L’histoire de Çâkyamuni nous en fournit un très-curieux exemple. Le jeune prince, que l’on pressait de se marier, avait déclaré que la considération de la caste ne l’arrêterait pas, et qu’il prendrait indifféremment une femme parmi les Brâhmanes, les Kchattriyas, les Vâiçyas ou les Çûdras, s’il en trouvait une qui répondît au type de

  1. Kunâla, dans Divya avadâna, f. 200 b.
  2. Mânava dharma çâstra, l. V, st. 5.
  3. Tchûḍâ pakcha, dans Divya avad., f. 281 b et pass.