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DU BUDDHISME INDIEN.

réflexion : Si je la mange, je conserverai la vie ; si je ne la mange pas, je mourrai. Puis il se dit à lui-même : Que je la mange ou que je ne la mange pas, il faudra toujours, de toute nécessité, que je meure ; j’ai assez de cette vie. Comment en effet un tel Rĭchi, un sage plein de moralité et doué des conditions de la vertu, sortirait-il aujourd’hui de mon palais avec son vase aussi net qu’en y arrivant ? Aussitôt le roi Kanakavarṇa ayant réuni les receveurs, les grands conseillers, les gardiens des portes et les membres des divers conseils, leur parla en ces termes : Écoutez avec satisfaction, seigneurs : ceci est la dernière aumône d’une portion de nourriture que fasse le roi Kanakavarṇa. Puisse, par l’effet de cette racine de vertu, cesser la misère de tous les habitants du Djambudvîpa ! Aussitôt le roi prenant le vase du grand Rĭchi, y déposa la seule mesure de nourriture qui lui restât ; puis soulevant le vase entre ses deux mains et tombant à genoux, il le plaça dans la main droite du bienheureux Pratyêka Buddha. C’est une règle que les Pratyêka Buddhas enseignent la loi par les actes de leur corps, et non par leurs paroles. En conséquence le bienheureux Pratyêka Buddha, après avoir reçu du roi Kanakavarṇa sa portion de nourriture, s’élança miraculeusement en l’air, de l’endroit même où il était. Et le roi Kanakavarṇa tenant ses mains réunies en signe de respect, resta immobile en le regardant, sans fermer les yeux, jusqu’à ce que sa vue ne pût plus l’atteindre.

Ensuite le roi s’adressa ainsi aux receveurs, aux grands conseillers, aux ministres, aux gardiens des portes et aux membres des divers conseils : Retirez-vous, seigneurs, chacun dans vos maisons ; ne restez pas ainsi dans ce palais, vous y mourriez tous de soif et de faim. Mais ceux-ci répondirent : Quand le roi vivait au milieu de la prospérité, du bonheur et de l’opulence, alors nous nous livrions à la joie et au plaisir avec lui. Comment aujourd’hui que le roi touche au terme de son existence, à la fin de sa vie, pourrions-nous l’abandonner ? Mais le roi se mit à pleurer et à répandre un torrent de larmes. Ensuite essuyant ses yeux, il s’adressa ainsi [de nouveau] aux receveurs, aux grands conseillers, aux ministres, aux gardiens des portes et aux membres des divers conseils : Retirez-vous, seigneurs, chacun dans vos maisons ; ne restez pas ainsi dans ce palais, vous y mourriez tous de soif et de faim. En entendant ces paroles, les ministres et tous les conseillers se mirent à pleurer et à répandre un torrent de larmes. Puis ayant essuyé leurs yeux, ils s’approchèrent du roi ; et quand ils furent près de lui, saluant ses pieds en les touchant de la tête, et tenant leurs mains réunies en signe de respect, ils lui parlèrent ainsi : Pardonne-nous, seigneur, si nous avons commis quelque faute ; aujourd’hui nous voyons le roi pour la dernière fois.

Cependant à peine le bienheureux Pratyêka Buddha eut-il mangé sa portion de nourriture, qu’aussitôt des quatre points de l’horizon s’élevèrent quatre