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INTRODUCTION À L’HISTOIRE

Deux fois et trois fois le respectable Ânanda garda le silence. Alors Bhagavat fit cette réflexion : Que le Religieux Ânanda soit éclairé par Mâra le pécheur[1], puisque aujourd’hui, au moment où il est instruit jusqu’à trois fois par le moyen de cette noble manifestation, il ne peut en comprendre le sujet. Il faut que ce soit Mâra qui l’éclaire.

Alors Bhagavat s’adressa ainsi au respectable Ânanda : Va, ô Ânanda, cherche le tronc d’un autre arbre pour t’y asseoir ; nous sommes ici trop à l’étroit pour rester ensemble. Oui, vénérable, répondit le respectable Ânanda à Bhagavat ; et ayant cherché le tronc d’un autre arbre, il s’y assit pour y passer la journée.

Cependant Mâra le pécheur se rendit au lieu où se trouvait Bhagavat, et y étant arrivé, il lui parla en ces termes : Que Bhagavat entre dans l’anéantissement complet ; voici venu pour le Sugata[2] le temps de l’anéantissement complet. — Mais pourquoi, ô pécheur, dis-tu ainsi : Que Bhagavat entre dans l’anéantissement complet ; voici venu pour le Sugata le temps de l’anéantissement complet ? — C’est que voici, ô Bienheureux, le moment même [tel que l’a fixé] Bhagavat, se trouvant à Uruvilvâ[3], sur le bord de la rivière Nâiram̃djanâ,

    titre d’Âyuchmat (doué d’un grand âge) comme une répétition du mot Ânanda. (Mongol. Gram., p. 157 ) Plus tard, en traduisant les textes tibétains, M. Schmidt a bien reconnu lui-même la véritable valeur du titre honorifique d’Âyuchmat (Mém. de l’Acad. des sciences de S.-Pétersbourg, t. IV, p. 186) ; aussi fais-je cette remarque uniquement pour les lecteurs qui s’en tiendraient à l’énoncé de la Grammaire mongole, sans le rapprocher de la traduction qu’a donnée le même auteur du Vadjra tchhêdika tibétain.

  1. Mâra est le démon de l’amour, du péché et de la mort ; c’est le tentateur et l’ennemi du Buddha. Il en est souvent question dans les légendes relatives à la prédication du Çâkyamuni devenu ascète. (Klaproth, Foe koue ki, p. 247, Schmidt, Geschichte der Ost-Mongol, p. 311. Mém. de l’Acad. des sciences de S.-Pétersbourg, t. II, p. 24, 25 et 26.) Il joue notamment un grand rôle dans les dernières luttes que soutint Çâkya pour parvenir à l’état suprême de Buddha parfaitement accompli. (Csoma, Life of Shakya dans Asiat. Researches, t. XX, p. 301, note 15.) Le Lalita vistara donne de curieux détails sur ses conversations supposées avec Çâkyamuni. (Lalita vistara, ch. XVIII, f. 133 a de mon man.)
  2. Voici encore un nouveau titre du Buddha. Il me semble qu’ici gâta ne peut signifier qu’une de ces deux choses : « qui est arrivé, » ou « qui est parti. » La première explication est la plus vraisemblable, quoiqu’elle s’accorde moins bien que la seconde avec celle que je viens d’admettre, d’après Csoma, pour Tathâgata. Je pense donc que le mot Sugata signifie « celui qui est bien ou heureusement venu. » M. Turnour est d’avis que ce titre signifie ou l’heureuse arrivée, ou l’heureux départ de Buddha. (Mahâvamso, Index, p. 24.) (Voy. les additions à la fin du volume.)
  3. Uruvilvâ est un des lieux les plus fréquemment cités dans les légendes buddhiques, parce que c’est là que pendant six années Çâkyamuni se soumit aux plus rudes épreuves, pour parvenir à l’état suprême de Buddha. C’était un village situé près de la rivière de Nâiram̃djanâ, que Klaproth retrouve dans le Niladjan, torrent qui est l’affluent le plus considérable du Phalgu. On sait que le Phalgu est une rivière qui traverse le Magadha, ou le Bihar septentrional, avant de se jeter dans le Gange. (Klaproth, Foe koue ki, p. 224. Fr. Hamilton, The History, Antiquities, etc., of East India, t. I, p. 14.) L’arrivée de Çâkyamuni à Uruvilvâ, après qu’il eut quitté la montagne